Le président Emmanuel Macron a exhorté vendredi les Européens à développer une « plus grande capacité d’action » face aux désordres mondiaux, en participant pleinement aux futures négociations sur le contrôle des armements et en s’associant à un « dialogue stratégique » sur le rôle de la dissuasion nucléaire française.
Les Européens ne peuvent pas « se cantonner à un rôle de spectateurs » face à la course aux armements nucléaires dont le Vieux continent risque d’être de nouveau le théâtre, a-il lancé lors d’un discours sur la stratégie de défense et la dissuasion françaises devant un parterre d’officiers français et d’attachés de défense, en présence des ministres Jean-Yves Le Drian (Affaires étrangères) et Florence Parly (Armées).
« La dernière décennie a vu les équilibres stratégiques, politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires largement remis en cause et nous voyons aujourd’hui poindre à nouveau ce qui pourrait mettre à mal la paix acquise après tant de drames sur notre continent », a-t-il averti dans un tour d’horizon des bouleversements post-Guerre froide.
Ce discours très attendu – qui a duré une heure et quart – est un exercice imposé pour chaque président français, chef des armées et maître de la doctrine de dissuasion nucléaire, considérée par la France comme la clé de voûte de sa stratégie de défense et la garantie ultime de ses intérêts vitaux.
– Délitement international –
Le monde est confronté à « une compétition globale entre les Etats-Unis et la Chine », à un « délitement accéléré de l’ordre juridique international » et à une désintégration de l’architecture de contrôle des armements en Europe, autant de défis auxquels les Européens doivent, selon M. Macron, répondre par une « plus grande autonomie stratégique ».
« La France est convaincue que la sécurité à long terme de l’Europe passe par une alliance forte avec les Etats-Unis », a-t-il dit face aux inquiétudes de certains membres de l’UE, notamment en Europe de l’est, qui s’en remettent avant tout à l’Otan pour leur sécurité. « Mais notre sécurité passe aussi, inévitablement, par une plus grande capacité d’action autonome des Européens ».
La récente dénonciation par Washington du traité russo-américain de 1987 sur les armes nucléaires de portée intermédiaire (INF), qui interdisait les missiles d’une portée de 500 à 5.500 kilomètres, place de nouveau l’Europe au coeur d’une potentielle course aux armements comme au temps des Pershing II et SS-20.
« Soyons clairs: si une négociation et un traité plus large (sont) possibles, nous le souhaitons (..) Les Européens doivent être partie prenante et signataires du prochain traité car il s’agit de notre sol » qui est concerné et menacé, a martelé Emmanuel Macron.
Washington menace en outre de ne pas renouveler le traité New Start sur les armements stratégiques nucléaires, conclu en 2010, après son expiration en 2021.
Emmanuel Macron a aussi proposé aux pays européens « un dialogue stratégique » sur « le rôle de la dissuasion nucléaire française » dans la sécurité de l’Europe, sans préciser si le Royaume-Uni post-Brexit était concerné par cette proposition.
– Exercices nucléaires partagés –
La France est le seul pays de l’Union européenne doté de l’arme atomique depuis la sortie du Royaume-Uni.
Les forces nucléaires françaises « renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et à cet égard ont une dimension authentiquement européenne », a-t-il souligné.
« Les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne », que la menace d’emploi du feu nucléaire vise précisément à défendre.
Sans aller jusqu’à proposer une dissuasion partagée – sujet très sensible sinon tabou – le chef de l’Etat a proposé aux partenaires européens qui le souhaitent de s’associer aux « exercices des forces françaises de dissuasion ».
Un responsable des conservateurs allemands d’Angela Merkel avait plaidé lundi pour que l’UE dispose à l’avenir de sa propre force de dissuasion nucléaire, suggérant une mise en commun de l’arsenal atomique français.
« Il y a une vraie ouverture européenne, que d’aucuns jugeront prudente. La question ne peut pas se poser en terme de parapluie » nucléaire français, prévient un expert proche du dossier. « Il s’agit d’intégrer davantage la dimension européenne de la dissuasion française d’une part, et de susciter l’émergence d’une culture de dissuasion nucléaire commune en Europe sans l’ami américain au bout de la table », décrypte-t-il pour l’AFP.
La France, qui prône une dissuasion « strictement suffisante », a « réduit la taille de son arsenal, aujourd’hui inférieur à 300 armes nucléaire », a précisé Emmanuel Macron, en vantant le « bilan exemplaire » du pays en matière de désarmement.