Edouard Balladur a dû subir la traversée du désert imposée généralement aux traîtres en politique. Le vaincu baisse l’échine et attend que la fureur et le désir de vengeance du victorieux perdent leur intensité. Edouard Balladur observa cette discrète posture jusqu’à ce que son ancien poulain Nicolas Sarkozy relève le défi de la présidentielle et gagne le pari. Edouard Balladur l’a fantasmé et Nicolas Sarkozy l’a réussi. Entre les deux hommes, il y a eu comme un coup de foudre où le rationnel en politique se mêlait à la chimie des relations humaines. Le jeune Sarkozy, élevé dans le premier cercle de Jacques Chirac, promu par ce dernier comme premier espoir de la droite au détriment des fils naturels préférés comme Dominique de Villepin ou Alain Juppé, avait pris armes et bagages et rejoint les camps des rebelles et des insurgés que dirigeait Edouard Balladur contre une «Chiraquie» agonisante. Et depuis, les relations entre les deux hommes avaient pris un relief particulier. Dans tout ce qu’a entrepris Nicolas Sarkozy depuis son élection, il y a la trace et l’influence d’Edouard Balladur.
Ce dernier, l’allure presque comique d’un pélican gavé de nourriture, le débit de parole très particulier de celui qui subit en permanence une douleur hémorroïdale, campa le personnage du grand visiteur du soir, influent par sa grande proximité, motivé sans doute par son tout aussi grand désir de sous-traiter sa revanche. Depuis que l’affaire de Karachi s’est installée comme un grand scandale d’Etat au cœur de l’actualité française, c’est cette relation et cette proximité et de complicité fut le principal moteur de l’accusation à charge. La défense de Nicolas Sarkozy est connue. De «la fable» dédaigneuse jusqu’à son désir d’ouvrir le voile sur les dossiers dits compromettants, il est passé presque d’un extrême à l’autre. Quant à Edouard Balladur, il a toujours eu cet air étonné de savoir qu’on puisse penser que lui, le grand serviteur de l’Etat était capable d’une manœuvre aussi basse et aussi dangereuse.
L’arrêt des rétro commissions était-il à l’origine de l’assassinat des Français de Karachi, Edouard Balladur donne sa version en audition : «On a du mal à s’expliquer qu’un motif de cet ordre puisse entraîner, six ans après, en 2002 et par mesure de rétorsion, l’assassinat de onze Français (…) Je n’ai jamais été informé de l’octroi de commissions (…) Je n’avais pas à l’être car ce n’était pas des sujets qui étaient traités à Matignon». Dans sa défense, Edouard Balladur avance que ses comptes de campagne ont été validés par le Conseil constitutionnel qui n’avait rien trouvé à redire. Les dernières confidences de Roland Dumas, alors président du Conseil constitutionnel, selon lesquelles il fallait valider ses comptes sous peine de remettre en cause la validité de l’élection présidentielle de Jacques Chirac dont les comptes n’n’étaient pas d’une grande rectitude, conserve à cette affaire tout son mystère et donc son attractivité.