Polygamie, pourquoi une nouvelle loi?
L’affaire Lies Hebbadj, le boucher nantais suspecté de polygamie, pourrait bien accoucher d’un nouveau délit taillé sur-mesure pour son cas.
Que dit la loi actuelle ?
Accusé sans autre forme de procès de vivre «en état de polygamie avec quatre femmes dont il aurait eu douze enfants» par le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, Lies Hebbadj avait sa réponse toute trouvée: «Les maîtresses ne sont pas interdites en France.» Ironique, faux jeton sans doute, mais pas faux. Ce qui est interdit sans ambiguïté, c’est la polygamie. C’est-à-dire être marié civilement à plusieurs personnes en même temps. «On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier», stipule l’article 147 du code civil. Y contrevenir est passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 433-20 du code pénal).
Ce qui ne semble pas inquiéter Hebbadj, et pour cause: s’il a bien contracté trois mariages religieux, et s’il a 14 enfants, on ne lui connaît qu’un seul mariage civil. De fait, parmi les chefs d’accusation retenus contre lui (escroquerie, fraudes aux prestations sociales ou encore travail dissimulé) ne figure pas celui de polygamie.
Pourquoi une proposition de loi?
Pour ratisser plus large et pouvoir poursuivre d’autres Lies Hebbadj. Comment? En étendant le délit à la polygamie «de fait» en englobant les mariages religieux ou coutumiers, et pas seulement civils. Il s’agit, selon l’exposé des motifs (à lire ici en pdf), de lever l’ «espace de non-droit derrière lequel peuvent se cacher toutes sortes de combinaisons familiales ou conjugales, qui échappent aux pouvoirs publics, qui se nourrissent d’aides publiques qui ne leur sont pas destinées, et soustraient à la protection légitime que pourrait leur conférer le statut juridique d’un mariage civil ou d’un PACS des personnes fragilisées, femmes et enfants confondus».
Le texte prévoit une peine encourue de 5000 euros pour délit de vie «en état de polygamie» (au sens élargi, donc), de 30 000 euros pour «incitation à la vie en état de polygamie» (nouveau délit qui vise, en pratique, l’homme polygame), et enfin 45 000 euros pour polygamie avec circonstances aggravantes, en cas de fraude aux aides sociales. Des peines complémentaires sont prévues, dont l’expulsion et la déchéance de la nationalité française en cas d’accession à la nationalité par le mariage.
Difficile là encore de ne pas voir du sur-mesure pour le cas Hebbadj, menacé par Brice Hortefeux, précisément, de déchéance de nationalité. Au point de demander à son collègue de l’Immigration Eric Besson d’en étudier les conditions. Ce à quoi Besson avait bien été obligé de répondre que la déchéance s’avérait, dans le cas présent, «difficilement applicable» mais qu’il était «tout à fait disposé» a étudier une évolution de procédure.
Et pour qui?
Selon la proposition de loi, «la polygamie concernerait en France environ 20 000 familles (…) ce sont près de 200 000 personnes qui se trouveraient, sur notre territoire, en situation "polygamique"».
Le texte retient là la fourchette haute de l’une des seules estimations à l’échelle nationale dont on dispose, fournie en 2006 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) à partir de données de son propre aveu forcément approximatives puisque la polygamie est par définition souvent dissimulée. Résultat, après compilation et extrapolation: «La présence de familles polygames en France pourrait être de 16 000 à 20 000», concluait la CNCDH. Soit, «adultes et enfants compris, au maximum 180 000 personnes vivant en situation polygamique ce qui, rapporté à la population française, représente moins de 0,3%», relativise l’étude (à lire ici).
Jusqu’aux années 90, le nombre de familles polygames a pu augmenter en France par le biais du regroupement familial, sur la base d’un arrêt du Conseil d’État du 11 juillet 1980. Cette décision, dite arrêt Montcho, avait accordé le droit pour une famille polygame béninoise à s’installer en France, au nom du droit à mener une vie familiale normale.
La brèche a pris fin avec les lois Pasqua de 1993, qui empêchaient un «ressortissant étranger qui vit en état de polygamie» d’obtenir un titre de long séjour ainsi que de faire bénéficier plus d’un conjoint du regroupement familial. Les personnes en état de polygamie doivent depuis «décohabiter», démarche souvent freinée par la difficulté d’accès au logement.