I- Le discours est « une entité complexe », affirment les linguistes (Eddy Roulet-1987 et Benveniste -1966). Complexité, mais également diversité, car le discours peut-être pédagogique, didactique, informatif, suggestif et même polémique. Dans des cas bien spécifiques le discours peut même fonctionner comme « un outil de guerre ». L’Appel du 18 juin 1940, lancé depuis la BBC par le Général de Gaulle, est un appel à la poursuite du combat contre l’occupation allemande. Le discours de Martin Luter King, (I have a dream, «Je fais un rêve») du 28 août 1963 est un hymne à la résistance et à la lutte contre l’oppression et pour les libertés civiques. Celui lancé de Tanger en 1947 par le Sultan Mohamed V, fait de la lutte pour la libération du Maroc du colonialisme, une priorité indépassable.
Le discours de Bamako du Roi Mohamed VI (19 septembre 2013) s’inscrit dans cette lignée à laquelle il emprunte la philosophie et l’inspiration. Il est sans conteste pédagogique et pragmatique. Mais, la dimension qui donne à ce discours tout son sens et rend le mieux compte de sa philosophie, c’est son caractère prescriptif, au sens que donne la médecine à ce mot : une prescription, un « acte par lequel le médecin, après un diagnostic, décrit le traitement que devra suivre le patient ».
Ce discours de Bamako a su, en effet, transcender le contexte solennel dans lequel il se déroulait, marqué par la cérémonie d’investiture du Président malien, Ibrahim Boubacar Keita. Il s‘est libéré des contingences qui marquent ce contexte, pour se placer à un niveau plus réaliste, celui d’un Monarque qui vient apporter aide et soutien à un pays frère et reconnaissance à un chef d’Etat élu, mais, en même temps, s‘attache à désigner les maux endémiques à l’origine de l’état de déliquescence, d’instabilité et de guerre que connait l’Afrique.
C’est cette double dimension, diagnostic et prescription, proposition et action, qui donne au discours royal de Bamako sa vraie signification.
II- En rappelant des réalités historiques incontestables, le Souverain chérifien a ravivé la métaphore de l’« arbre qui plonge ses racines profondes en Afrique», utilisée par feu Hassan II. La relation du Maroc avec la terre africaine est ancrée dans un passé lointain et confirmée par l’histoire et la culture. Le Maroc trouve dans cette terre africaine plus qu’un « prolongement stratégique » et un espace économique. Le Maroc, sans sa dimension saharienne et africaine, n’est pas le Maroc et l’histoire du Sahara et de l’Afrique est indissociable de celle du Maroc. Le colonialisme a brisé la continuité géographique et coupé le Maroc de ces racines sahariennes durant plus de 40 ans. Le retour, en 1975, à la mère-patrie des provinces du Sud a rétabli cette continuité et fermé cette déchirure géographique.
Cette histoire commune qui porte l’emprunte des Almoravides, des Almohades, des Saadiens et du commerce caravanier, est profondément marquée par les échanges culturels et spirituels entre Fès, Tombouctou, Gao et d’autres lieux de savoir et de culture du continent noir.
Chose extraordinaire, la qualité d’Amir al-Mouminine du Roi du Maroc s‘est trouvée, à l’occasion de cette visite, confirmée et consolidée par une forme de « bay’â » libre et sincère, de dimension africaine, portée par les plus éminents cheikhs religieux et chefs confrériques du Mali. L’accord signé entre le Maroc et ce pays –qui stipule la formation, sur deux ans, de cinq cent imams maliens-, est une autre forme de reconnaissance de cette qualité et de l’exceptionnalité marocaine en matière du culte. Il vient conforter, dans un moment où le fanatisme religieux se déchaine sur la région, l’une des pierres angulaires de cette exceptionnalité, à savoir la pratique d’un Islam tolérant et ouvert, du "juste milieu", et l’observation d’un rite malékite et d’une doctrine morale épurée qui constituent des éléments constitutifs de la personnalité et de l’identité culturelle profonde du Maroc.
C’est pour préserver le patrimoine du Mali de la destruction et pour mettre cette histoire commune à l’abri de la folie de fanatismes religieux aveugles et destructeurs, que le Souverain a choisi d’agir en vue « de soigner les blessures symboliques, par la réhabilitation des mausolées, la remise en état des manuscrits, leur préservation, et la redynamisation de la vie socioculturelle ».
C’est ainsi que l’idée d’introduction dans l’action internationale d’une dimension cultuelle et culturelle – absente du projet de l’UpM- prend toute sa signification. L’action solidaire est promue par le discours de Bamako à une valeur collective car, « Dans cette importante mission de reconstruction, précise le Souverain, tous les pays africains frères ont un rôle essentiel à remplir ».
III- Diagnostic et traitement, proposition et action, tels sont les éléments moteurs qui assurent au discours de Bamako sa dynamique et confirme son caractère prescriptif. Le Souverain y souligne les maux, les défis et les dysfonctionnements récurrents, qui menacent le Continent, mais précise en même temps le « traitement» pour soulager les blessures et fermer les déchirures dues aux conflits ethniques, politiques et culturels.
Cet aspect, diagnostic et identification du mal, qui différencie le discours de Bamako de la simple dénonciation, trouve sa logique dans le deuxième terme de l’équation, à savoir la prescription, qui se traduit par l’action concrète et solidaire. Malheureusement, cette solidarité est battue en brèche par la compromission et la volonté de nuisance de certains Etats ou parties de la région, qui s‘obstinent « en dépit de ces enjeux (…), à détruire, au moment où d’autres choisissent de construire ».
Le Maroc, sous l’autorité du Roi Mohamed VI, a résolument choisi son camp, celui de la réforme et de l’action internationale éclairée et constructive qui profite à tous les peuples de cette région sahélienne et saharienne, déchirée par les conflits ethniques et tribaux, théâtre de manœuvres étrangères qui épuisent ses ressources et appauvrissent ses habitants. C’est, en effet, « en vertu de sa riche et inaliénable tradition de coopération avec les Etats frères subsahariens que le Maroc entend remplir activement sa part de responsabilité historique », pour lui redonner espoir.
Quant aux Etats qui déboursent chaque année des dizaines de milliards de dollars, prélevés sur les deniers publics, pour nuire à leurs voisins, pour semer la guerre, la destruction et la désolation (trafic, famine, exode, exil) dans cette région, leur responsabilité devant l’histoire est entière. Ce ne sont ni les « coups d’Etat constitutionnels », qui n’ont de but que de prolonger les mandats de présidents usés, ni les pétrodollars injectés dans les caisses de groupes mafieux et séparatistes, qui intercéderont pour eux devant l’histoire et surtout, un jour, devant leurs propres peuples qu’ils maintiennent dans les privations, l’ignorance et la pauvreté.