Prostitution: la France franchit le pas de la pénalisation des clients
La France a rejoint mercredi le camp des pays européens sanctionnant les clients de prostituées, une mesure à l’efficacité incertaine qui a fait l’objet de vifs débats et divise la classe politique comme les associations d’aide aux prostituées.
Avant le vote, une soixantaine de prostituées s’étaient réunies aux abords de l’Assemblée nationale derrière une banderole proclamant : "Putes aux poings levés contre la pénalisation des clients". Certaines scandaient "clients pénalisés, putes assassinées".
Tous les pays européens punissent le proxénétisme, mais la France n’est que le cinquième à franchir le cap d’une législation sanctionnant aussi les clients de prostituées, après la Suède, pionnière dès 1999, la Norvège, l’Islande et le Royaume- Uni. En arriver là n’a pas été une mince affaire, avec un épique marathon parlementaire de près de deux ans et demi jusqu’au vote de mercredi. Selon les estimations officielles, la France compte entre 30.000 et 40.000 prostitué(e)s, dont une majorité d’étrangères, originaires d’Europe de l’Est, d’Afrique, de Chine et d’Amérique latine.
La pénalisation des clients est la mesure phare d’un texte plus global de la majorité socialiste au pouvoir, qui comporte diverses dispositions visant à renforcer la lutte contre le proxénétisme et favoriser les aides à sortir de la prostitution. Ce texte supprime aussi le délit de racolage passif, institué en 2003 à l’initiative de l’ancien président de droite Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, et qui était dénoncé par les associations d’aide aux prostituées.
– Dissuader la demande –
Les deux chambres du Parlement n’ont jamais réussi à s’entendre sur la sanction des clients depuis les premiers débats fin 2013: à trois reprises, l’Assemblée nationale, contrôlée par la gauche, l’a votée mais le Sénat, majoritairement de droite, l’a retoquée. C’est faute d’un accord sur un texte commun que le dernier mot revient aujourd’hui aux députés.
Le sujet a divisé au sein même des partis politiques et fait l’objet de vifs débats dans l’opinion, avec notamment la publication d’un "manifeste des 343 salauds", dans lequel des personnalités revendiquaient leur "droit" à recourir à une prostituée. Mais pour ses partisans, la pénalisation des clients doit aider à dissuader la demande et considérer les prostituées "comme des victimes et non plus comme des délinquantes", selon la députée socialiste Maud Olivier, à l’origine du texte. "Cette loi est indispensable pour qu’on ne puisse plus considérer comme normal d’acheter le corps d’une personne", a-t-elle déclaré à l’AFP en se disant "fière que le pays vote cette loi". "Il y a une attente à l’international sur cette loi qui est immense", renchérit Grégoire Théry, du Mouvement du Nid, une association prônant l’abolition de la prostitution.
Pour ses détracteurs, sanctionner les clients "va mettre en danger les travailleuses du sexe", qui seront plus isolées, critique à l’inverse Sarah-Marie Maffesoli, de l’ONG Médecins du monde.
La pénalisation des clients a aussi été farouchement combattue par des associations de prostituées qui présentent leur activité comme volontaire et s’inquiètent d’une perte de revenus. "Les conséquences, on les voit déjà. Celles qui peuvent se le permettre partent travailler dans des pays frontaliers, les autres cherchent des agences, des salons, des intermédiaires qui vont jouer le rôle de proxénètes, afin de les mettre en contact avec des clients", affirme Morgane Merteuil, du Syndicat du travail sexuel (Strass).
Certains experts pointent la difficulté à mettre en pratique la nouvelle interdiction à l’heure d’internet. "Les sites de rencontres sont un des grands paramètres de mise en relation entre prostituées et clients. Puis les gens se téléphonent. Comment contrôlez-vous ça ?", s’interroge ainsi le sociologue Laurent Melito.