Proche-Orient: Barack Obama accumule les échecs face à Israël
Barack Obama ne doit pas seulement batailler avec son Congrès pour faire adopter sa réforme de la santé. Après des mois de négociations pour aboutir à un projet de réforme jugé largement insuffisant par une partie de la gauche américaine, le président engage le dernier combat devant les parlementaires qui doivent enfin voter.
Et voilà que sur un autre front, le Proche-Orient, les relations Etats-Unis/Israël sont en pleine crise et que la Maison Blanche accumule les déconvenues.
C’est «la pire crise depuis 1975». Qu’est-ce qui pousse l’ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis à un constat si sévère? L’impasse totale des négociations israélo-palestiniennes depuis la fin 2007? Le marasme dans lequel se trouve l’Autorité de Mahmoud Abbas? La poursuite de la colonisation qui morcelle chaque jour un peu plus la Cisjordanie et Jérusalem? Rien de tout cela.
Pour l’ambassadeur israélien Michael Oren, ce sont «les relations entre Israël et les Etats-Unis» qui sont aujourd’hui plongées dans la crise la plus grave depuis 1975, année du retrait israélien partiel, sous la contrainte américaine, du Sinaï égyptien. C’est en tout cas ce qu’il a déclaré ce week-end, lors d’une conversation téléphonique avec les consuls israéliens aux Etats-Unis, comme le rapporte lundi le quotidien israélien Yediot Aharonot.
Au départ de cette brouille, il y a la réaction de Washington après l’annonce de la construction par Israël de 1.600 logements à Jérusalem-Est. Annonce ressentie comme une véritable «insulte» par l’administration américaine, pour reprendre le mot de David Axelrod, le principal conseiller de Barack Obama. Pour Axelrod, cette annonce constitue un parfait sabotage par Israël de la visite au Proche-Orient du vice-président Joe Biden, qui vient de s’achever à Jérusalem.
Le secteur oriental de la ville sainte, où vivent quelque 200.000 Israéliens installés dans une douzaine de nouveaux quartiers ainsi que 270.000 Palestiniens, a été annexé de fait par Israël après la guerre des Six-Jours (juin 1967).
Face à cette réaction américaine d’une fermeté inhabituelle, Israël a déployé un véritable rideau de fumée. Cité sous couvert de l’anonymat par le quotidien israélien Maariv, un ministre du Likoud a accusé le président Obama de «chercher à faire tomber le gouvernement Nétanyahou» et d’exploiter la crise pour obtenir des concessions d’Israël dans le processus de paix.
Dans un texte rendu public dimanche, l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), le puissant lobby américain pro-israélien, a estimé de son côté que les déclarations de la Maison Blanche constituaient «un sérieux sujet d’inquiétude». «L’AIPAC appelle l’administration (Obama) à prendre des mesures immédiates pour apaiser la tension avec l’Etat hébreu», précise le texte.
Plus mesuré, le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou a ordonné, samedi 13 mars, une enquête afin de savoir comment des responsables du gouvernement ont pu annoncer ce nouveau projet d’implantations juives à Jérusalem-Est pendant la visite très symbolique du vice-président américain Joe Biden. Benjamin Nétanyahou a en outre présenté des excuses pour le moment inopportun de cette annonce, après s’être entretenu au téléphone avec la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton. Le premier ministre israélien s’est toutefois abstenu de donner la moindre directive pour faire annuler ces constructions.
Au-delà des mots, que peut-il se passer désormais ? Le prochain temps fort sera sans aucun doute le congrès de l’AIPAC, prévue du 21 au 23 mars, où Benjamin Nétanyahou et Hillary Clinton doivent prendre la parole. Mais pour dire quoi, quand l’essentiel du rapport de force entre les deux alliés s’est déjà clairement dessiné depuis l’automne dernier?
L’acceptation d’un «gel partiel» des coloniesL’annonce israélienne concernant Jérusalem consacre l’ascendant pris à l’été 2009 par la diplomatie israélienne sur une administration Obama sans idée ni plan de paix. L’équipe Obama s’est montrée incapable de remettre dans le jeu des Palestiniens aujourd’hui marginalisés. Et bien peu empressée de s’opposer à une stratégie israélienne de fait accompli en Cisjordanie.
La stratégie d’Obama au Proche-Orient n’a jamais apporté la preuve de sa cohérence ou de sa capacité à débloquer un processus de pourparlers au point mort depuis des années. Car l’annonce des 1.600 logements n’est pas une première. Fin novembre 2009, celle de 900 logements supplémentaires dans le quartier de Gilo avait déjà provoqué l’indignation des Palestiniens, qui continuent de demander en vain un gel de la colonisation comme préalable à la reprise des négociations.
Expulsions quasi quotidiennes de Palestiniens à Jérusalem-Est, dont les demeures sont réquisitionnées par l’armée au profit de colons Israël; création de nouveaux «avant-postes» illégaux en Cisjordanie; expéditions punitives de colons à Hébron; bouclage réguliers de la Cisjordanie et blocus persistant de Gaza… L’arrivée d’Obama n’a rien changé au quotidien de millions de Palestiniens.
«Il faut éviter à tout prix un nouveau ballet d’envoyés spéciaux, et agir vite», avait prévenu l’ancien négociateur palestinien, Elias Sanbar, à l’aube de l’élection d’Obama, censée amorcer un réengagement des Etats-Unis après les années Bush. Les tournées de George Mitchell – qui connaissait pourtant la région pour avoir rédigé un rapport en avril 2001, base de la future Feuille de route – se sont pourtant succédé, en vain. Et le rôle de Mitchell a fini par se confondre avec celui de Tony Blair, émissaire sans influence d’un Quartette (Union européenne, Etats-Unis, Russie, ONU) invisible.
Dans l’intervalle, toutes les rumeurs, toutes les informations qui ont filtré de Washington se sont révélées trompeuses. Pas de plan de paix basé sur l’initiative saoudienne. Pas de plan du tout d’ailleurs, ni de soutien de la volonté palestinienne, exprimée à l’automne par le premier ministre palestinien Salam Fayyad, de proclamer la création d’un Etat palestinien devant l’ONU. Au-delà des mots, aucun soutien ferme non plus à Mahmoud Abbas, le président d’une Autorité palestinienne gangrenée par l’éternel ballet de négociations infructueuses.
Au contraire, selon la presse israélienne, Washington a multiplié les pressions pour empêcher l’examen par l’assemblée générale de l’ONU du rapport Goldstone relatif aux crimes de guerre de l’armée israélienne et du Hamas durant la guerre à Gaza. Aucune pression n’est intervenue, en revanche, sur Israël, et l’aide militaire (3 milliards de dollars par an) a même été relancée quand, fin décembre, Obama signait le financement de plusieurs programmes israéliens de défense anti-missiles acceptés par Bush, pour un montant de 220 millions de dollars…
Deux moins auparavant, la tournée au Proche-Orient de la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, avait déjà marqué les esprits. En qualifiant de «sans précédent» les efforts de Nétanyahou en dépit du refus d’Israël de geler la colonisation, Hillary Clinton piétinait la stratégie initialement affirmée par l’administration Obama et convertissait les Etats-Unis à la notion israélienne de «gel partiel».
Face aux critique acerbes, Washington avait alors modéré du bout des lèvres les déclarations d’Hillary Clinton, sans que l’on comprenne si la secrétaire d’Etat avait commis une «gaffe» ou simplement exprimé tout haut ce que la Maison Blanche pensait tout bas. Au final, le voyage de Mrs. Clinton constituait bel et bien une nouvelle preuve «de l’incompétence diplomatique» américaine, pour nombre d’observateurs attentifs tels que le journaliste Charles Enderlin ou l’universitaire américain Arno Mayer.
Ce fut la principale erreur de l’administration Obama: cette série d’hésitations, alors que de nombreux rapports montraient que la colonisation s’accélérait de manière exponentielle, entraînant ainsi le Proche-Orient dans un «temps additionnel» au-delà duquel la création d’un Etat palestinien n’est plus qu’une utopie, selon l’expression du journaliste d’Haaretz, Gideon Levy.
Face à cette impasse qui paraît avoir durablement terni l’image de la jeune administration américaine, et aussi en raison des difficultés rencontrées dans le dossier de l’assurance maladie, la seule réponse prévue par l’équipe d’Obama, si l’on en croit les derniers bruits, consisterait en un désengagement pur et simple de ce dossier, dans une attitude pas si éloignée de celle de George W. Bush. Pour les Palestiniens, la gueule de bois serait alors à la hauteur des espoirs que l’alternance avait fait naître au soir d’un discours du Caire de juin 2009.
Une prise de parole qui demeure aujourd’hui la seule initiative importante d’Obama pour reprendre la main au Proche-Orient.
mediapart.fr