Le choix de ce poids lourd du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) illustre l’importance qu’accorde à cette ville M. Erdogan, qui y a écrit les premières pages de sa légende politique en y étant élu maire en 1994.
Le poids démographique, économique et symbolique de l’ancienne capitale de l’Empire ottoman est tel que M. Erdogan a plusieurs fois déclaré que "remporter Istanbul, c’est remporter la Turquie".
"Il ne faut pas sous-estimer la fonction de maire d’Istanbul", déclare à l’AFP M. Yildirim, comparant sa trajectoire à celle de l’ancien président français Jacques Chirac, redevenu maire de Paris après avoir été Premier ministre.
M. Yildirim, 63 ans, est le dernier Premier ministre de Turquie, la fonction ayant en effet été supprimée par un référendum constitutionnel en 2017 et ses prérogatives transférées au président, M. Erdogan.
Mais ce fidèle du chef de l’Etat, élu président du Parlement après avoir perdu son fauteuil de chef du gouvernement, ne s’est pas précipité pour accepter de porter la bannière de M. Erdogan à Istanbul.
Il a en effet fallu plusieurs mois avant qu’il officialise sa candidature et accepte de démissionner du Parlement, certains médias rapportant qu’il traînait des pieds.
"Istanbul, un pays"
Si M. Yildirim est favori, l’opposition croit en ses chances et se souvient qu’un peu plus de 50 % des électeurs d’Istanbul avaient rejeté la proposition de M. Erdogan lors du référendum constitutionnel en 2017.
Un signal fort pour le président, alors qu’Istanbul, avec ses habitants issus des quatre coins du pays et aux modes de vie radicalement différents, sert de baromètre à l’échelle nationale.
Signe de la crainte de l’AKP de voir Istanbul lui échapper malgré la candidature du loyal M. Yildirim, M. Erdogan a lancé toutes ses forces dans la bataille, y tenant un nombre de meetings sans précédent pour un chef d’Etat avant des élections municipales.
Dimanche, il doit y tenir un meeting géant à Yenikapi, sur la rive européenne d’Istanbul, avec son allié ultranationaliste, Devlet Bahçeli.
"Istanbul est un pays en soi. Si c’était un Etat, il serait le 13ème plus grand d’Europe et le 41ème du monde", souligne M. Yildirim. Plus de 15 millions de Turcs, sur une population totale de 80 millions, y vivent.
En face, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) espère porter un coup dur à M. Erdogan en lui arrachant Istanbul, ce qui représenterait une catastrophe électorale inédite pour celui qui dirige le pays depuis 2003.
Pour ce faire, il mise sur Ekrem Imamoglu, 49 ans, actuellement maire d’un arrondissement périphérique d’Istanbul, Beylikdüzü.
Bière ou prière ?
De retour sur le terrain après avoir été aux cimes du pouvoir, M. Yildirim s’efforce désormais de surmonter les inquiétudes de l’électorat populaire de l’AKP, avec une économie entrée en récession et un chômage en hausse.
Pro-actif, il multiplie même les appels du pied dans l’autre camp : ainsi, il s’est récemment affiché dans un quartier libéral d’Istanbul, Kadiköy, bastion du CHP, saluant des fêtards en train de boire des bières en terrasse.
M. Imamoglu n’est pas en reste, envoyant des signaux aux conservateurs : le CHP a ainsi largement diffusé une vidéo de son candidat en train de réciter des versets du Coran dans une mosquée lors d’une prière en hommage aux victimes de l’attentat en Nouvelle-Zélande.
Mais dans un entretien à l’AFP, le candidat du CHP déplore des conditions de campagne inégales.
"Malheureusement, en Turquie, il n’y a pas de traitement équitable, en particulier dans les médias" qui, pour la plupart contrôlés par le pouvoir, couvrent bien plus la campagne de M. Yildirim que la sienne.
"Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux que nous sommes le plus efficace", ajoute-t-il.
Il soutient que pour lui, la mairie d’Istanbul n’est pas une "étape dans une carrière politique" comme elle le fut dans l’ascension de M. Erdogan.
"Je propose des idées pour qu’Istanbul y gagne, pour servir une grande ville comme Istanbul", dit-il. "Et réfléchir au futur (d’Istanbul) passe avant tout".