Migrants: les gardes-côtes libyens entrent dans la bataille contre les ONG
Un incident entre des gardes-côtes libyens et un navire humanitaire allemand mercredi au large de la Libye illustre les tensions croissantes dans la zone, alors que l’Union européenne pousse pour limiter au maximum les départs.
L’ONG a diffusé des images où l’on voit la vedette des gardes-côtes couper la trajectoire de son bateau, évitant de très peu une collision, en dénonçant une manoeuvre "extrêmement dangereuse".
"C’est le bateau de l’ONG qui a changé sa direction pour nous couper la trajectoire et nous empêcher d’atteindre les migrants", a rétorqué à l’AFP le colonel Abou Ajila Abdelbari, commandant de la patrouille des gardes-côtes impliquée dans l’incident.
Les migrants ont été transférés à bord du navire des gardes-côtes et conduits sur la base navale de Tripoli, d’où ils ont été acheminés vers des centres de rétention.
Sea-Watch, qui se charge de repérer et sécuriser les embarcations de fortune en attendant un plus gros navire de secours, n’avait pas les moyens de les prendre tous à bord, a fait valoir à l’AFP le général Ayoub Kacem, porte-parole de la marine libyenne.
Mais depuis plusieurs années, ce sont les gardes-côtes italiens qui coordonnent les secours dans les eaux internationales, au-delà de 12 milles nautiques de la Libye… et leur transfert en Italie.
Pour les ONG de secours en mer mais aussi les défenseurs des droits de l’Homme, le Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) et même le gouvernement allemand, les migrants ne doivent pas être reconduits en Libye, où ils subissent extorsions, violences, viols, tortures et meurtres.
Tout comme Sea-Watch, plusieurs ONG de secours en mer ont vivement réagi jeudi, dénonçant les pressions européennes, qui ont récemment formé une centaine de gardes-côtes libyens et sont en train de leur fournir une dizaine de vedettes pour tenter de ralentir le flux des migrants.
Selon les organisations internationales, 800.000 à un million de personnes, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne, se trouvent actuellement en Libye. Beaucoup étaient venues y chercher du travail mais pourraient être tentées de prendre la mer pour échapper au chaos libyen.
SOS Méditerranée s’est dite "très inquiète" de l’incident de jeudi, tandis qu’Oscar Camps, directeur de Proactiva Open Arms s’est insurgé: "Les +gardes-côtes libyens+ sont formés aussi pour provoquer les ONG ? Que va-t-il arriver à ceux qui fuient ?"
Mais la marine libyenne entend désormais opérer dans toute la zone économique exclusive libyenne, jusqu’à 200 milles des côtes, a expliqué le général Kacem, précisant qu’elle disposait d’un navire tout juste réparé.
"Avant, nous n’avions que des embarcations pneumatiques qui nous ne permettraient pas d’opérer loin des côtes, surtout quand la mer est agitée", a-t-il expliqué.
Les ONG mènent une "véritable opération de chasse aux migrants, dans un contexte de compétition entre elles et avec les garde-côtes. Ce n’est pas vraiment de l’humanitaire. Ca devient du business", a-t-il insisté.
Ces accusations font écho à celles qui secouent actuellement l’Italie, où des magistrats et des politiques évoquent, tout en reconnaissant ne pas avoir de preuves, de possibles liens entre ONG et passeurs.
Accusations que les ONG renvoient directement aux gardes-côtes libyens, évoquant ces mystérieux navires frappés de l’inscription "Libyan Coast Guards" qui assistent de loin aux opérations de sauvetage et viennent ensuite récupérer les moteurs des embarcations.
Auditionné jeudi à Rome par une commission parlementaire sur les soupçons contre les ONG, l’amiral Vincenzo Melone, responsable des gardes-côtes italiens, s’est emporté.
"Nous sommes face à une tragédie aux dimensions invraisemblables", a-t-il rappelé en saluant l’aide apportée par les ONG et en demandant à l’agence européenne Frontex de "faire descendre" ses navires patrouillant actuellement à 70 milles de la Libye pour éviter tout effet incitatif.
Depuis 2014, les gardes-côtes italiens ont coordonné le secours de plus de 550.000 migrants, tandis que plus de 12.000 autres sont morts ou disparus. Mais "la solution n’est pas en mer", a insisté l’amiral.
afp