Les otages espagnols à l’ère libre (Libération)
La libération, officialisée hier, de Roque Pascual et d’Albert Vilalta, détenus depuis novembre au Mali par Al-Qaeda au Maghreb islamique, a fait l’objet de tractations.
Jusqu’au dernier moment, le doute a plané sur le sort des deux Espagnols. Ce n’est que vingt-quatre heures après la libération que l’exécutif espagnol, faisant preuve d’une très grande prudence, a confirmé la fin de la prise d’otages. Dimanche, la chaîne de télévision Al-Arabiya avait d’abord annoncé que les deux Catalans avaient été relâchés quelque part dans le nord du Mali. Le médiateur mauritanien, Mustapha Chafi, conseiller du président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, et embauché par Madrid pour mener les négociations, était chargé de les récupérer.
Escortés par un groupe armé non islamiste malien, ils ont alors entrepris la traversée du désert puis de la savane afin de rejoindre la frontière avec le Burkina Faso. Là, un hélicoptère les attendait pour les emmener jusqu’à la capitale burkinabée, Ouagadougou, où, hier soir, ils devaient prendre l’avion pour Barcelone. Les coopérants catalans devraient être entendus prochainement par un juge de l’Audience nationale, la plus haute instance judiciaire espagnole.
Hier, lors de son bref point de presse, José Luis Zapatero s’est montré très discret sur les détails de cette libération. Il s’est contenté de remercier la bonne coopération des pays de la zone africaine.
Enchères. Selon le quotidien Público, une rançon de 5 à 10 millions d’euros a été versée à la katiba (phalange) d’Aqmi qui détenait les deux humanitaires espagnols. Celle-ci est dirigée par l’un des «émirs» de l’organisation terroriste, l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, 38 ans, connu dans la région pour «protéger» le trafic de cigarettes et de clandestins à travers le Sahara. Jusqu’à présent, ce dernier a toujours accepté de relâcher ses otages occidentaux contre de fortes rançons. Ce fut le cas pour les deux diplomates canadiens Robert Fowler et Louis Guay, libérés en avril 2009. Selon certains spécialistes du terrorisme sahélien, les motivations de Belmokhtar sont «essentiellement financières et non pas religieuses».
Ce n’est pas le cas d’Abdelhamid Abou Zeid, l’autre «émir» sahélien d’Aqmi, décrit comme «fanatique, violent et brutal», qui, lui, a fait exécuter l’otage français Michel Germaneau en juillet, ainsi qu’un touriste britannique l’été dernier. C’est ce même Abou Zeid qui aurait poussé Belmokhtar à faire monter les enchères pour les deux Espagnols, en demandant la libération de prisonniers salafistes détenus en Mauritanie. Parmi eux, il y a l’ancien bras droit de Belmokhtar, le Mauritanien Taghi ould Youssef, arrêté au Niger et extradé le 5 mai vers son pays.
A plusieurs reprises, le gouvernement espagnol a envoyé des représentants à Nouakchott pour faire pression sur le gouvernement mauritanien. Le ministre des Affaires étrangères espagnoles, Miguel Angel Moratinos, a fait en personne le déplacement. Mais le président Mohamed ould Abdel Aziz, à la tête du pays depuis le coup d’Etat d’août 2008, s’est juré de mener une lutte inflexible contre Aqmi. En février, il s’était même fâché contre le laxisme du Mali qui avait relâché quatre islamistes en échange de la libération de l’otage français Pierre Camatte. Hors de question pour lui de libérer Taghi ould Youssef, suspecté d’attaques terroristes dans son pays.
Procès. En revanche, le cas d’Omar Sid’Ahmed ould Hamma, dit «Omar le Sahraoui», a pu peser dans les négociations. Ce «mercenaire» malien, qui a attaqué le convoi humanitaire espagnol et enlevé Roque Pascual et Albert Vilalta avant de les remettre à Aqmi, a été jugé ce mois-ci à Nouakchott. Fait exceptionnel, durant le procès, le procureur mauritanien a révisé ses réquisitions. Il avait initialement réclamé une peine de perpétuité avant de ne demander que cinq à vingt ans de prison. Omar le Sahraoui a finalement été condamné à douze ans de détention. Puis, dans la nuit du 16 août, il a discrètement été extradé vers son pays d’origine, le Mali, «non menotté» et sans que ses avocats aient été prévenus, selon les informations de l’AFP. Quelques jours plus tôt, sur demande de l’Espagne, le ministre de la Justice mauritanien avait effectué un voyage express à Bamako pour parler «sécurité régionale». Depuis, les autorités maliennes se refusent à tout commentaire. Mais un employé de la prison centrale de Bamako affirme qu’Omar le Sahraoui n’y a jamais été transféré.