Mardi à Ryad, devant un forum économique baptisé le "Davos dans le désert", Mohammed ben Salmane, 32 ans, a promis une Arabie "modérée", en rupture avec l’image d’un pays arabe longtemps considéré comme l’exportateur du wahhabisme, une version rigoriste de l’islam qui a nourri nombre de jihadistes à travers le monde.
Le surprenant discours a été prononcé en plein chantier de réformes inspirées par le prince et qui marquent le plus grand bouleversement culturel et économique de l’Histoire moderne du royaume, avec une marginalisation de fait de la puissante caste des religieux conservateurs qui ont dominé l’espace public pendant des décennies, selon des analystes.
"Nous n’allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant", a assuré celui qu’on surnomme "MBS", sous les applaudissements des participants au forum qui a attiré 2.500 décideurs du monde entier.
Il a promis un retour à un "islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions", alors que ses détracteurs dénoncent régulièrement son "autoritarisme".
L’intervention de mardi, au milieu de la promotion d’un projet de développement de plus de 500 milliards de dollars sur la mer Rouge, cadre avec l’image d’un réformateur audacieux dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans.
"C’est la vision la plus claire que nous ayons jamais eue" pour l’Arabie saoudite, a dit à l’AFP l’analyste Lori Boghardt du Washington Institute for Near East Policy. "Il est clair qu’il est en train de transformer le royaume, ce qui implique une sphère religieuse plus docile et moins influente".
‘Réfractaires’
La vision d’une "Arabie modérée", longtemps considérée comme un oxymoron, est risquée et pourrait déclencher une réaction des conservateurs.
Mais elle se concrétise. Le mois dernier, les femmes ont obtenu le droit de conduire, les cinémas vont bientôt ouvrir et des Saoudiennes ont célébré la fête nationale mêlées aux hommes. Du jamais vu.
Le gouvernement a de plus annoncé la création d’un centre chargé de "certifier" les paroles du prophète Mahomet et d’écarter toute interprétation "fausse et extrémiste". Et la police religieuse, chargée de faire respecter la ségrégation des sexes, a presque disparu des villes saoudiennes.
Certains religieux conservateurs, qui se sont longtemps opposés à toute évolution du statut de la femme, ont cautionné la décision de la laisser conduire.
Selon Ali Shihabi, directeur de l’Arabia Foundation à Washington, le prince héritier a oeuvré en coulisse avec autorité pour amener certaines dignitaires religieux à soutenir ses réformes.
"Il y aura toujours des réfractaires et des réactionnaires, mais son dynamisme et sa force, combinés à une forte proportion de jeunes en faveur du changement, lui ont permis d’avancer sur cette voie", dit-il.
Place aux ‘rêveurs’
Pour des experts, les déclarations et les mesures annoncées par le prince Mohammed, fils du roi Salmane (81 ans), constituent un bouleversement pour le royaume régi depuis sa création par le wahhabisme.
Dans le même temps, il a oeuvré pour renforcer son emprise politique sur le pouvoir, procédant notamment à une vague d’arrestations de dissidents, dont des religieux influents et des intellectuels.
Chez les partisans de "MBS", une idée domine: il est impossible de parvenir à un consensus dans un pays qui est le théâtre de réformes sans précédent.
Au forum, le prince Mohammed était venu initialement pour vendre aux investisseurs étrangers son projet portant sur une gigantesque zone de développement aux confins de la Jordanie et de l’Egypte, qui s’étendra sur 26.500 km2.
Une vidéo de promotion a montré des villes futuristes avec des femmes habillées à l’occidentale en train de faire du sport ou travailler aux côtés d’hommes. Des images qui contrastent avec le strict code vestimentaire en Arabie saoudite.
Lors de la conférence, des femmes étaient aussi habillées à l’occidentale.
Certains responsables gouvernementaux ont comparé la campagne de réformes à un autobus lancé à vive allure: soit on monte soit on reste sur place.
"Seuls les rêveurs sont les bienvenus", a clamé le prince Mohammed, alors que des analystes économiques redoutent des changements trop rapides dans le royaume.
"On peut dire qu’il en fait trop, trop peu ou trop tard", a dit Stephen Potter, vice-président de la compagnie Northern Trust basée à Chicago, présent au forum.
"Mais on est tous d’accord: le changement est nécessaire et c’est mieux que de ne rien faire".
afp