Le défunt roi de Thaïlande, père et dieu

Le roi de Thaïlande Bhumibol Adulyadej, dont les funérailles ont été organisées jeudi à Bangkok, avait acquis en 70 ans de règne un statut paradoxal de dieu et de père, fruit de décennies de culte de la personnalité couplé à une loi de lèse-majesté répressive.

Ses portraits dans des cadres dorés ornent routes et rues du pays, montrant cet homme fin au visage anguleux à tout âge: en jeune passionné de photographie avec un appareil autour du cou ou rendant visite à des paysans dans la force de l’âge.

Sa photographie, en habit d’apparat ou en simple chemisette, était affichée dans les échoppes, les foyers, les écoles… On le voyait visiter des camps militaires, des projets agricoles ou des lacs artificiels, sa grande passion.

La fête des pères coïncide avec son anniversaire, et nombre de Thaïlandais l’appelaient "papa".

"Nous sommes ici pour envoyer notre papa au ciel en tant que Dieu. Il peut désormais nous regarder d’en-haut", assure Kingkan Kuntavee, une Thaïlandaise de 47 ans venue s’agenouiller jeudi au passage du convoi funéraire, avec plus de 200.000 autres sujets.

Mais, au-delà de ce culte de la personnalité savamment distillé, ce qui se passait derrière les murs du palais restait inabordable, avec une loi de lèse-majesté draconienne envoyant en prison tout détracteur.

Tabou: sa fortune

Parmi les sujets tabous: sa fortune colossale. En 2011, Forbes le classait plus riche monarque au monde. Autre non-dit: la mort mystérieuse par balle de son frère aîné, le roi Ananda Mahidol, dit Rama VIII, au palais en 1946.

Le jour même du drame, Bhumibol était bombardé Rama IX, neuvième monarque de la dynastie des Chakri. Sept ans avant Elizabeth II d’Angleterre.

Entre 1946 et 1950, celui qui s’était soudain vu propulser sur le devant de la scène était rentré finir ses études en Suisse. Il y avait passé une grande partie de sa jeunesse, après sa naissance le 5 décembre 1927 aux Etats-Unis.

Il n’avait eu de cesse depuis de bâtir son image de sage, protecteur de la nation et investi de la mission d’améliorer la vie de son peuple, s’imposant comme le dénominateur commun d’un pays qui a connu sous son règne 19 coups d’Etat ou tentatives de putsch.

Dans les années 1960, il avait commencé à bâtir son image de protecteur du pays en agitant la menace des groupuscules communistes essaimés dans les jungles du pays, n’hésitant pas à se frotter au terrain et à revêtir l’uniforme kaki. Le roi a alors joué un rôle clef dans le rapprochement avec Washington, au moment où la Thaïlande devenait la base arrière des Etats-Unis pour la guerre du Vietnam.

Concurrence inédite

A cette même époque, le jeune couple royal thaïlandais avait fait une grande tournée aux Etats-Unis, où il avait joué la carte du glamour et de la modernité. Le roi, saxophoniste amateur, avait pu assouvir sa passion du jazz.

Ses talents de musicien et sa passion de la voile étaient souvent mis en image dans les clips de propagande royale diffusés dans tous les cinémas du pays avant chaque film.

"Contrairement aux autres monarchies modernes, il est impossible de mesurer exactement la popularité de la monarchie thaïlandaise", estime l’historien David Streckfuss, auteur d’un livre sur le loi de lèse-majesté.

La concurrence inédite du populaire politicien Thaksin Shinawatra depuis le début des années 2000 n’était pas du goût du roi, selon les analystes. Thaksin a été renversé par un coup d’Etat en 2006.

Fin stratège politique, malgré son absence de pouvoir constitutionnel (depuis l’abolition de la monarchie absolue en 1932), Bhumibol avait réussi à réaffirmer la place prépondérante de la monarchie.

Son image de sage prend en partie sa source dans son intervention lors du soulèvement populaire de mai 1992, quand il avait exhorté, devant les caméras de télévision, les chefs des deux camps, accroupis à ses pieds comme le veut la tradition, à faire la paix. (afp)

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