La Guinée organise ses premières élections libres
Après cinquante ans de junte militaire, le pays va connaître dimanche un scrutin ouvert.
Pour en arriver là, la Guinée a souffert. Du général Sékou Touré, le père de l’Indépendance, qui s’est vite mué en tyran, vingt-six ans durant, à son successeur, Lansana Conté, militaire lui aussi, qui régnera vingt-quatre ans. À sa mort, fin 2008, l’histoire semble se répéter. En fait, elle s’accélère. Le nouveau despote, le capitaine Moussa Dadis Camara, un officier inconnu, se révèle vite incontrôlable et violent. En septembre dernier une manifestation de l’opposition dans un stade de Conakry, la capitale, est réprimée, par les militaires dans, le sang. On dénombre au moins 150 morts selon l’ONU, qui qualifie la répression de crime contre l’humanité. T
rois mois plus tard, «Dadis» est gravement blessé lors d’une tentative de meurtre. La présidence échoue alors à un quatrième galonné : Sékouba Konaté. Le général s’engage à passer le pouvoir aux civils dans un pays potentiellement riche, mais ruiné, rongé par la corruption.
Dimanche, ils seront 24 à briguer la succession, avec des chances très diverses. Faute de sondage ou de tradition démocratique, nul ne se risque à des pronostics. Alpha Condé passe pour l’un des challengers les plus sérieux. À 73 ans, l’opposant de toujours, fort de sa condamnation à mort sous Sékou Touré et de ses années de prison sous Lansana Conté veut incarner la rupture avec un passé peu reluisant.
Une arme forte contre ses quatre principaux rivaux, tous anciens premiers ministres. Leurs parcours, entre opposition douce et collaboration heurtée avec Lansana Conté les rapprochent. Les économistes Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré s’opposent aux hauts fonctionnaires internationaux Lansana Kouyaté et François Fall.
Crainte d’affrontements
Tous se disent confiants dans leur victoire à l’issue d’une campagne plus calme qu’attendu. Mais alors que le vote approche, les craintes de voir la Guinée retomber dans ses travers ne sont pas pour autant levées. «Le scrutin sera aussi transparent que possible», assure un diplomate qui souligne cependant que le manque d’habitude et de professionnalisme de l’administration et la précipitation dans laquelle il fut organisé pourraient ouvrir la porte à des contestations. Mais le vrai risque est ailleurs.
«Je crains des affrontements entre communautés, entre militants (…). 70 % de la population est analphabète, et les gens n’ont pas de culture démocratique. Pour une question d’intérêts, ils peuvent déraper», analysait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique la syndicaliste Rabiatou Serah Diallo.
Dans ce pays très divisé, les candidats, plus que des idées, incarnent en effet, parfois malgré eux, les intérêts d’une ethnie. Alpha Condé puise ses forces dans son clan, les Malinkés. L’autre favori, Cellou Dalein Diallo est avant tout un Peul. Ce groupe, qui forme un peu moins de 40 % de la population, très présents dans le monde des affaires et dans l’administration revendique le pouvoir après cinq décennies loin du pouvoir.
Les craintes d’affrontements ethniques se sont avivées, vendredi après les violences ayant fait un mort entre partisans de Cellou Dalein Diallo et de Sidya Touré non loin de Conakry.
Une partie de l’armée, qui n’a pas totalement fait le deuil de ses ambitions et certains barons des régimes déchus pourraient être tentés de souffler sur les braises pour faire capoter un processus historique.