Première démocratique à Conakry

Une sortie de crise aussi inespérée que fragile. C’est le scénario qui s’esquisse en Guinée, petit Etat d’Afrique de l’Ouest qui organise ce dimanche ses premières élections libres après avoir connu une succession de dictatures depuis son indépendance en 1958. Il y a neuf mois, le pays semblait devoir basculer irrémédiablement dans le chaos: le 28 septembre 2009, l’armée réprime dans le sang un rassemblement d’opposants à Conakry (au moins 156 morts), et tout laisse à craindre que s’amorce une spirale de la violence.

Deux mois plus tard, l’aide de camp du capitaine Dadis Camara, chef de la junte au pouvoir, furieux que son patron veuille lui faire endosser seul la responsabilité de ce massacre, lui loge une balle dans la tête; grièvement blessé, Dadis est évacué du pays. Depuis, c’est le général Sékouba Konaté, ancien numéro trois de la junte, qui préside au processus de "transition".

Contre toute attente, celui-ci semble avoir des chances d’aboutir. A l’heure où 4 millions de Guinéens sont appelés à choisir leur président parmi 24 candidats – tous civils –, c’est "un optimisme mesuré", selon le mot d’un diplomate, qui prévaut. "L’attentat contre Dadis Camara, en le mettant hors jeu, a changé la donne, observe-t-on à Paris où l’on suit de très près l’évolution de la situation à Conakry. Konaté a jusqu’ici tenu tous ses engagements. On peut s’interroger sur ses arrière-pensées, et sur le business perso auquel il se livre, mais, pour l’instant, il est dans les clous."

L’incertitude est grande

Si Sékouba Konaté se montre effectivement pressé de restituer le pouvoir aux civils, reste à savoir si ces derniers sauront le prendre en douceur. Le scrutin est très ouvert: parmi les 24 candidats, trois, voire quatre semblent avoir une chance de l’emporter. Cette incertitude donne toute sa valeur au jeu électoral. Elle le rend également périlleux, tant la Guinée est travaillée par un ethnocentrisme exacerbé. Les Peuls, l’ethnie numériquement (38 %) et économiquement la plus importante, n’ont jamais exercé le pouvoir et attendent l’avènement de leur champion, Cellou Dalein Diallo.

"Si d’aventure il n’atteignait pas le second tour*, ça poserait sans doute des problèmes", pronostique un diplomate. Les Malinkés, à l’inverse, admettraient-ils sa victoire? Mais leurs voix risquent de s’éparpiller entre l’éternel opposant Alpha Condé et plusieurs autres candidats. Quant aux supporters de Sidya Touré, favori du pays soussou (la basse Guinée), ils ont montré leur nervosité lors d’affrontements contre des partisans de Diallo qui ont fait au moins deux morts jeudi à Coyah (50 km à l’est de Conakry). La Guinée forestière, fief de Dadis Camara, est, elle, restée plutôt calme.

"Un changement radical dans la gouvernance est nécessaire"

D’autres incidents, plus ou moins graves, ont émaillé la fin de campagne. "A Conakry, il s’est produit plusieurs couacs dans certains quartiers populaires quand des badauds se sont emparés des cartes d’électeurs au moment de la distribution. Ailleurs, des chefs de quartier ont été accusés de faire de la rétention de cartes par rapport à certaines ethnies", note Aziz Diop, secrétaire exécutif du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG).

Pas encore de quoi faire dérailler un processus qui a fait naître une attente réelle dans la population. Les Guinéens, qui n’ont jamais profité des immenses richesses, minières notamment, que renferme leur pays, sont conscients du développement que peut leur apporter l’ouverture démocratique. "La Guinée n’a jamais décollé économiquement, observe Said Djinnit, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest. C’est comme un train qui serait resté bloqué en gare. Il faut maintenant qu’il démarre, et pour cela, chacun sait qu’un changement radical dans la gouvernance est nécessaire."

* Prévu théoriquement le 18 juillet, il pourrait être repoussé d’une ou de deux semaines.

Source LE JDD

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