Benkirane II : « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? »

Le remue-ménage indescriptible qui agite les instances du PJD (islamistes) et du RNI (centre) des semaines est insupportable. Il est insidieux et ses effets néfastes. Les prédications de mauvais augures sont aujourd’hui légion, la rumeur est à son comble et l’idée qu’il n’y a dans les tractations PJD-RNI d’enjeux que la satisfaction d’ambitions partisanes, fait déjà son œuvre.

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I- Du parti à « l’écurie » politique
La longue et difficile période de conciliabules, de flux et de reflux, qui a mis face à face le PJD et le RNI, quelle que soit son issue, laissera des traces. L’inventaire des effets pervers induits serait laborieux à faire. Il n’en demeure pas moins, que l’une des impressions qui prévaut actuellement est celle de partis qui ambitionnent de gouverner le pays ensemble mais qui se conduisent comme des «écuries » privées, soucieuses avant tout de la défense de leurs propres casaques, taillant à coup de « tronçonneuse » dans les postes ministériels pour « caser » leurs champions. Pendant ce temps, le pays reste obnubilé par le spectre de la hausse des prix qui guette des secteurs stratégiques de la vie quotidienne des marocains (le pain, le lait, le carburant).

Cette manière d’envisager la gestion des affaires publiques et de concevoir le rôle d’un parti politique est plus qu’une « déformation professionnelle » ; c’est un véritable inversement de paradigme. Le parti en tant que « structure d’organisation de la démocratie » (Raynaud et Rials, 2003), lieu de réflexion programmatique, de prospection et d’encadrement, se trouve réduit à une seule fonction, primaire et utilitariste, qui tourne entièrement autour de la satisfaction des intérêts exclusifs du groupe et des caprices de ses caciques.
La polémique, la tension et le « blocage » que suscite la question de la répartition des postes ministériels – ainsi que leur nombre et les noms de leurs occupants- tendent à accréditer cette thèse et conforter la crainte de voir émerger des négociations PJD-RNI une architecture gouvernementale inédite, taillée sur mesure : des Ministères de « souveraineté », des Ministères de « convoitise », objet de désir, lieux privilégiés de tous les avantages, taillés comme de véritables baronnies et, en fin de liste, des Ministères de troisième division, simples lieux de relégation ou de compensation.
Ces écarts, ces déséquilibres et cette façon de gérer l’épisode Benkirane II, sont préjudiciables. Ils portent les germes de l’échec et de la désillusion et risquent de discréditer un peu plus le politique et d’éloigner le pays de fondamentaux indispensables à sa mutation politique, sociale et institutionnelle, telles que la bonne gouvernance, la justice, la parité, la transparence et la réforme.

II- Jeter les rancunes à la mer
C’est un fait. Le départ tonitruant de l’Istiqlal de la majorité et la remise en selle du RNI ont créé de nouvelles et inextricables conditions politiques. Au lieu de gagner en clarté, en fluidité et en crédibilité, le jeu politique s‘est complexifié.
Benkirane II aurait pu être l’occasion d’un changement de cap et de choix politiques courageux et déterminants qui ouvrent des perspectives et marquent cette rupture nécessaire et attendue avec l’expérience Benkirane I.
Au-delà de toute considération politique, les protagonistes tenaient là, en effet, une véritable opportunité pour « corriger le tir », pour faire émerger une nouvelle élite, pour injecter une bonne dose de parité dans une majorité cohérente en capacité de relever les défis et asseoir durablement les bases d’un Etat de droit. Au lieu de cela, c’est à un remue-ménage interminable et affligeant que les marocains ont eu droit.
Bien évidemment. La tâche n’est pas si facile qu’il apparait. Une large palette de paradoxes et de contradictions rend les marges de manœuvre étroites et les choix politiques vertueux problématiques. Le bloc de partis (PJD, RNI, PPS, PI), appelé à former la nouvelle majorité, est lui-même un foyer d’hétérogénéités. Rien de probant, en termes de vision, de méthode et de stratégie, n’autorise un rapprochement entre ses différentes composantes. Les rapports personnels entre les leaders sont exécrables et les référentiels idéologiques (islamisme, libéralisme, communisme, traditionalisme etc.) sont éloignés.

Force est donc de constater que l’amalgame doctrinal qui va servir de base et d’armature à la majorité Benkirane II, est incertain. Il ne saurait tenir et résister longtemps au choc de l’exercice collectif et solidaire du pouvoir.
A en croire les principaux animateurs de ce bloc idéologique particulier (PJD, RNI, PPS, PI), il faut y croire et garder espoir. Pour tout argument, ils affirment, la main sur le cœur, qu’ils ont jeté leurs rancunes à la mer, épuré leur « disque dure » de tous les fichiers litigieux et infectés au nom de l’intérêt général.
Soit. Encore faut-il s‘entendre sur la notion d’intérêt général. Si l’intérêt général est ce « quelque chose de plus ambitieux que la somme des intérêts individuels », il va de soit qu’il y a raison d’espérer et de (les) croire. Mais, si l’intérêt général n’est que slogan et alibi, qu’il n’a d’objet que d’éviter les choix politiques courageux, ceux qui font évoluer le pays et lui assurent les moyens nécessaires pour préserver sa stabilité et son intégrité, alors cette profession de foi n’est que subterfuge et tout ce remue-ménage, n’est que peine perdue.
Mohammed MRAIZIKA (Chercheur en Sciences Sociales, CIIRI-Paris)

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