A Ryad, l’éclat perdu d’un forum international après l’affaire Khashoggi

Des délégués se pâment devant des musiciens jouant « Hotel California » en marge d’un forum international sur l’investissement à Ryad, où les autorités saoudiennes veulent montrer que les affaires continuent malgré le scandale autour du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.

Des "méga-projets" de plusieurs milliards de dollars ont été annoncés, de somptueux buffets ont été proposés au forum Future Investment Initiative (FII) et, mardi, certains des participants se sont bousculés pour approcher le prince héritier Mohammed ben Salmane.

Mais malgré annonces, concerts et buffets, ce forum de trois jours, destiné à projeter à l’international le royaume pétrolier désertique comme une destination d’affaires lucrative, a été totalement éclipsé d’un point de vue économique par les retombées politiques du meurtre du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi.

Critique du puissant prince héritier, surnommé MBS, Jamal Khashoggi a été tué dans le consulat saoudien à Istanbul le 2 octobre, un meurtre qui a suscité une vague de critiques internationales et provoqué des défections en masse de participants au forum économique.

Cette édition n’a donc rien à voir avec celle de l’année dernière où le prince Mohammed, parrain de l’évènement, avait ébloui des centaines d’investisseurs internationaux avec un projet de mégapole high-tech de 500 milliards de dollars sur la mer Rouge et un robot parlant nommé Sophia qui avait obtenu la nationalité saoudienne.

Pas au rendez-vous

Le prince a été ensuite décrit par des décideurs et des médias internationaux comme un réformateur après avoir autorisé les femmes à conduire dans ce royaume ultraconservateur. Et des hommes d’affaires du monde entier s’étaient pressés à Ryad.

Mais cette année, les grands décideurs n’étaient pas au rendez-vous, à l’instar du milliardaire britannique Richard Branson, du patron de SoftBank Masayoshi Son et du PDG de Siemens Joe Kaeser qui ont annulé leur venue, ou de la directrice du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde.

Absents aussi les stands lumineux de grands organes d’information occidentaux, qui étaient partenaires de l’évènement en 2017, mais ont préféré décliner cette année.

Mercredi, les organisateurs se sont empressés de remplacer les absents politiques des Etats-Unis et d’Europe par des personnalités régionales, le roi de Jordanie et le Premier ministre désigné du Liban, ainsi que par des dirigeants africains comme les présidents du Sénégal et du Gabon.

Ils ont continué à projeter les ambitions économiques du royaume, avec une voiture électrique Lucid exposée à l’extérieur du lieu du déjeuner. Chaque délégué a par ailleurs reçu un livre volumineux intitulé "Un plan pour le XXIIe siècle".

Lors d’un dîner de gala, Chico Bouchikhi, l’un des fondateurs du célèbre groupe français de flamenco-pop Gipsy Kings, a ravi les participants en interprétant des succès comme "Hotel California" du groupe américain The Eagles.

"Retour en arrière"

Le prince Mohammed a fini par évoquer l’affaire mercredi, pour la première fois dans une enceinte publique, qualifiant le meurtre de Jamal Khashoggi d’"incident hideux" et promettant que "la justice prévaudra".

Des délégués, venus en grande partie de pays arabes, dont beaucoup d’Arabie saoudite, étaient là pour l’écouter. Nombre d’hommes d’affaires occidentaux ont tenté eux de se montrer discrets, certains semblant réticents à partager leurs cartes de visite avec des journalistes.

Alors que les délégués pénétraient dans la vaste salle de conférence de l’hôtel Ritz-Carlton, ornée de fresques et de lustres scintillants, beaucoup d’entre eux regardaient fébrilement leurs smartphones à la recherche des dernières informations sur l’affaire Khashoggi.

Le scandale a terni l’image du prince Mohammed qui, selon le président américain Donald Trump, a nié toute implication.

Ryad a annoncé des arrestations et des limogeages, notamment au sommet des services de renseignement, dans le cadre de cette affaire.

L’éminente femme d’affaires saoudienne Lubna Olayan a décrit le meurtre comme un acte terrible "étranger à notre culture et à notre ADN".

"Pendant longtemps, j’ai présenté mon pays à des étrangers en leur disant: +Je viens d’un pays qui ne permet pas aux femmes de conduire+", a déclaré une autre femme d’affaires saoudienne. "Je pensais que nous allions de l’avant, mais cette (crise) nous a fait repartir loin en arrière".

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