Le burkini ne fait guère de vagues au Maghreb
Le débat lancé cet été en France sur le burkini rencontre peu d’écho au Maghreb, où ce costume de bain islamique a trouvé sa place sur des plages où les tenues sont de plus en plus pudiques.
Hakima, professeur de mathématiques d’une quarantaine d’années, nage en burkini puis s’entoure d’un large paréo en sortant de l’eau. "C’est plus décent. Le maillot intégral est la solution pour les musulmanes pratiquantes qui aiment la mer", explique-t-elle.
Mais certaines se couvrent à contrecoeur, comme Manel Brahimi, étudiante en biologie: "J’adore nager mais si je porte un maillot de bain normal, on me regarde comme une martienne".
Siham, 24 ans, s’est également résignée à porter, au dessus de son maillot une pièce, un short cycliste afin d’"éviter les regards".
Sur les plages de Rabat, les baigneuses se trempent aussi dans les tenues les plus disparates, du bermuda au bas de survêtement en passant par le legging, le short en jean, ou même le suggestif tee-shirt mouillé.
Mais rares sont celles arborant un burkini proprement dit, ce costume de bain créé en Australie dont le prix moyen (au moins 500 dirhams, 50 euros) le met hors de portée pour la majorité d’entre elles.
"Ce phénomène est surtout le fait des MRE (les Marocains résidant à l’étranger). Ils ont importé cette mode cette année lors de leur vacances sur les plages marocaines", en particulier dans le nord du pays, plus conservateur, souligne Miloud, un retraité.
De ce fait, la polémique créée en France par l’interdiction du burkini par plusieurs communes du sud, comme Nice ou Cannes, paraît décalée.
"Ce débat n’intéresse pas en Tunisie", indique le sociologue Abdessatar Sahbani. "Le port du burkini, qui a évolué d’une façon considérable depuis la révolution (de 2011), n’a pas provoqué de problèmes sur les plages… Et cet été les Tunisiens sont surtout préoccupés par la situation économique et sécuritaire".
L’évolution des moeurs a ouvert la voie aux plages privées réservées aux seules femmes et enfants. Comme le "Marina club" ouvert à l’est d’Alger par l’entrepreneur Riadh Bourayou.
Bien que son prix d’entrée soit élevé, les clientes, voilées ou non, se bousculent autour de la piscine, où se côtoient bikinis, maillots échancrés ou burkinis loin des regards masculins. Seules des femmes, étudiantes pour la plupart, y sont employées comme serveuses ou maîtres nageuses.
"C’est un havre de paix, un endroit discret pour une femme musulmane", se réjouit Ouahiba Chatouri, une hôtesse de l’air à la retraite voilée heureuse de porter son maillot deux pièces en toute tranquillité.
Un peu plus loin, un mur sépare sur la plage ces baigneuses de celles portant le voile intégral.
Ces dernières "en fait n’apprécient pas qu’il y ait de jeunes garçons", affirme une cliente, étonnée que l’on puisse comparer le regard d’un gamin de 7 ou 8 ans à celui d’un adulte.
Or, jusqu’aux années 1990, la mixité et les maillots de bain étaient la règle sur les plages d’Algérie, où la baignade habillée était l’exception le long de ses 1.600 km de côtes.
"Au lieu d’avoir une mixité sociale sur les plages comme cela avait toujours été le cas, des murs sont érigés entre celles qui peuvent se permettre une plage payante et bronzer comme elles le veulent et celles qui, par conviction ou par obligation, nagent dans une tenue décrétée décente par la société", regrette Saida, une enseignante d’anglais.
Près d’elle, Katia Ouahid, est en bikini "par principe".
"J’ai pris du poids avec mes grossesses mais je refuse le diktat de la société. Quand les islamistes interdisaient aux femmes d’aller à la plage, on n’a pas cédé. On partait en famille et avec des amis et on se mettait en maillot", rappelle Katia, la cinquantaine.
Amina, l’une de ses amies, regrette aussi que "la société ait énormément régressé sur le plan des libertés individuelles". "Il ne manque plus que l’on placarde à l’entrée: +plage familiale, tenue décente exigée+", s’insurge-t-elle, en se disant "nostalgique" des grandes plages où les filles étaient en maillots aux couleurs chatoyantes.
(Avec AFP)