« Soldats d’Allah » : un journaliste infiltré dans une cellule djihadiste française
De Châteauroux à Paris, un journaliste s’est infiltré au coeur d’une cellule de Daech en France. Diffusée sur Canal+ ce lundi, l’enquête est édifiante.
Le journaliste, musulman, "de la même génération que les tueurs du Bataclan", a commencé par gagner leur confiance. Si les premiers contacts, via des groupes prêchant le djihad sur Facebook, sont faciles, il a fallu ensuite rencontrer en personne celui qui se présente comme "l’émir" de cette dizaine de jeunes gens, certains musulmans par leur famille, d’autres convertis. Cela se passe à Châteauroux, dans le parc d’une base de loisirs, déserte en hiver. À partir de là, les enregistrements des conversations permettent de comprendre les motivations de ces apprentis-djihadistes qui, bien que connus des services antiterroristes et pour la plupart surveillés, se rencontrent et complotent.
La France peut être "traumatisée pendant un siècle"
"Mon but était de tenter de comprendre ce qu’ils ont dans la tête", dit Saïd Ramzi. "Et l’un des enseignements principaux est que je n’ai pas vu d’islam dans toute cette affaire. Aucune volonté de rendre le monde meilleur. Seulement des jeunes paumés, frustrés, perdus, suicidaires, faciles à manipuler. Ils ont eu la malchance d’être nés à cette époque où il y a l’État islamique. C’est très triste. Ce sont des jeunes en quête, et c’est ce qu’ils ont trouvé." Lors de leur première rencontre, l’émir du groupe, un jeune franco-turc qui se fait appeler Oussama, tente de convaincre le journaliste, qu’il ne connait que sous le nom d’Abou Hamza, que le paradis les attend, à l’issue d’une mission suicide, en Syrie ou en France.
"Vers le paradis, c’est ça le chemin", lui murmure-t-il, avec un constant sourire qui glace le sang. "Viens, frère, on va au paradis. Nos femmes nous y attendent, avec des anges comme serviteurs. Tu auras un palais, un cheval ailé fait d’or et de rubis". Lors d’une rencontre devant une mosquée de Stains (Seine-Saint-Denis), un membre du groupe montre un avion en approche des pistes du Bourget. "Avec un petit lance-roquette, tu peux en avoir un comme il faut… Tu fais un truc comme ça et tu signes Dawla (l’État, pour l’EI), la France est traumatisée pendant un siècle."
Frapper une base militaire ou des journalistes de BFM
Certains, comme Oussama, tentent de rejoindre les "terres du califat" en Syrie. Arrêté par la police turque, remis à la France, il fait cinq mois de prison avant d’être libéré. Sous contrôle, obligé de signer une fois par jour à la gendarmerie, la messagerie en ligne cryptée Telegram lui permet de garder le contact, de donner des rendez-vous au cours desquels le projet de commettre un attentat en France prend forme. "Il faut frapper une base militaire", assure Oussama. "Quand ils mangent, ils sont tous alignés…. Ta-ta-ta-ta-ta ! Ou alors les journalistes, BFM, iTélé, ils sont en guerre contre l’islam (…). Comme ils ont fait à Charlie. Il faut leur casser le coeur. Par surprise, qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent. Ils ne sont pas bien protégés. Il faut que les Français meurent par milliers."
"T’es cuit, mec"
Les choses s’accélèrent quand un certain Abou Souleiman, que le journaliste ne rencontrera jamais, revient de Raqqa, capitale en Syrie de l’EI, et lui donne rendez-vous dans une gare RER. Là, une femme en niqab lui remet une lettre dans laquelle un plan d’attaque est décrit : viser une boîte de nuit, tirer "jusqu’à la mort", attendre les forces de l’ordre et actionner des ceintures explosives.
Des membres du groupe à Orléans assurent être parvenus à se procurer une kalachnikov, mais l’étau se resserre. Les premières arrestations ont lieu, les "Soldats d’Allah" restaient dans le collimateur de la police. Un membre, plus méfiant, qui a échappé au coup de filet, lui envoie un message : "T’es cuit, mec". "Mon infiltration s’arrête-là", dit le journaliste. Son objectif, "montrer les coulisses d’une organisation qui maîtrise totalement son image", est atteint.