Documentaire : « Salafistes », le film qui dérange
Polémique. En salle ce mercredi 27 janvier, le documentaire donne à voir l’application du salafisme et fait entendre ses idées, sans filtre.
Donner à voir la pratique
L’idée, selon François Margolin, était de donner à entendre la « pensée posée, constituée », des Salafistes. Et de donner à voir la pratique. On découvre donc la vie quotidienne sous l’occupation, grâce à des images rares filmées à Tombouctou par Lemine Ould M. Salem. Le journaliste mauritanien suit une patrouille de la police islamique, qui traque les voiles indisciplinés. Et tout le reste, car la charia, d’une implacable précision, régit les moindres aspects de la vie courante. Le buveur d’alcool est puni de 40 coups de fouet, 80 s’il a des antécédents. Pour les relations sexuelles hors mariage, c’est la lapidation, remplacée, dans la grande mansuétude du législateur, par 100 coups de fouet pour le célibataire « qui n’a pas pu assouvir ses pulsions ».
Le traitement infligé aux voleurs est connu. Quelques secondes, un peu floues, montrent un homme, ligoté à sa chaise, convulser avant de s’évanouir alors qu’on lui coupe la main, à Gao. À Tombouctou, un autre homme témoigne après son amputation, à l’hôpital. « Ils m’ont assuré qu’ils vont me prendre intégralement en charge, y compris les médicaments, jusqu’à ce que je sois rétabli », affirme-t-il, aussi hagard que soulagé que le pire soit derrière lui. À côté, le chef du groupe djihadiste Ansar Dine. « Il était sincère quand il disait qu’il était désolé de ne pas avoir pu le sauver. C’est comme un juge, en France, désolé d’envoyer un jeune en prison. Eux, ils sont en plus guidés par une obligation divine », expose Lemine Ould M. Salem. Il ajoute, en une phrase qui constitue l’une des leçons du film : « Ce sont des barbares honnêtes. »
Car la charia s’applique à tous, même à un Touareg d’une grande famille qui a tué un pêcheur noir. La mère, à qui l’on a proposé la « diya », le prix du sang, a insisté pour obtenir l’exécution de l’assassin. La charia a beau être redoutée pour sa dureté, aussi dérangeant que ce soit pour le spectateur occidental, elle a le mérite d’ignorer le tribalisme qui gangrène ces sociétés. Mamiti el Ansari, qui fume et boit en cachette, se lamente : « Les jours de ramadan, on avait des fêtes. Avec les islamistes, tu ne fumes pas, tu ne fais rien, c’est une nouvelle religion. Quand tu pars avec ta copine, on te chicote devant le public. » Lemine Ould M. Salem révèle qu’il a depuis été condamné à 40 coups de fouet pour avoir bu du vin, par un juge qui se trouvait être son oncle. Pourtant, « il répète que, s’ils lui laissaient la bière, la musique, les copines et les joints, il serait de leur côté, parce qu’ils sont honnêtes. »
Des volontaires prêts à frapper
Ces scènes ont été filmées par Lemine Ould M. Salem sans restriction, tant les protagonistes étaient persuadés d’agir pour le bien. Seule une séquence où un notable remettait en question leur moralité a été supprimée à leur demande. Pour le reste, ils exposent leur idéologie de façon totalement assumée. « Nous, ce qu’on cherche, c’est faire exécuter la charia dans tout le Mali. Nous irons au-delà des frontières si la Cedeao nous attaque, on a des centaines de volontaires prêts à frapper dans leurs propres capitales », expose Omar Ould Hamaha, chef militaire de Mokhtar Belmokhtar, surnommé Barberousse à cause de sa barbe teinte au henné. Les attaques récentes à Bamako et à Ouagadougou prouvent que ce ne sont pas des paroles en l’air, pas plus, probablement, que les suivantes : « Si l’Otan nous attaque, on est prêts à multiplier le 11 Septembre par dix. »
« Une fraction de l’islam qui a ses théologiens »
La théorie, elle, est recueillie en Mauritanie, centre de développement des idées salafistes. « On les présente souvent comme des excités, on a voulu montrer qu’ils avaient une idéologie, que ce n’étaient pas des loups solitaires, déséquilibrés. C’est une fraction de l’islam qui a ses théoriciens, ses intellectuels », soutient François Margolin. Mohamed Salem al-Majlissi, l’imam de la mosquée de Nouakchott, se montre ouvertement favorable au djihad, enchaînant, dans un demi-sourire, devant son impressionnante bibliothèque, des propos sans filtre. Pêle-mêle, « Les Américains méritaient de souffrir », « Le journal Charlie Hebdo a eu ce qu’il méritait », « Le supermarché casher, c’est une réaction naturelle, les juifs et les musulmans, c’est une lutte sans fin », « Ce que Mohamed Merah a fait sert la cause des musulmans »… Pour Majlissi, formé sans contact avec l’Occident, révéré par de nombreux jeunes, la démocratie est une hérésie, l’égalité hommes-femmes une aberration, la charia la meilleure loi du monde. Majlissi est aussi le seul qui appuie Daech, qui « fait le maximum pour créer un véritable État musulman ».
Dès lors, le malaise s’installe quand le film enchaîne sur l’État islamique. « Il a semblé impossible de ne pas en parler, après les attentats de Paris, explique François Margolin. Et, comme on ne pouvait pas filmer chez eux, on a utilisé leurs images. Les trois quarts des vidéos de l’État islamique portent sur la répression, ça fait partie intégrante de leur propagande et représente 2,5 % de leur budget. On ne voulait pas la cacher. » Le film inclut donc des séquences que l’on a vues tourner sur Internet d’homosexuels précipités du haut d’une tour, de victimes abattues au hasard depuis une voiture, des minutes précédant l’exécution du journaliste James Foley, qui parle à la caméra. L’absence de commentaires laisse le spectateur face à l’horreur. « Pour quiconque serait séduit par leur discours, il faut voir ce que ça donne concrètement », justifie François Margolin.
Des vérités qui dérangent
À la fin du film, qu’a-t-on appris ? Que la haine et l’intolérance de ce courant n’ont cessé d’augmenter. François Margolin, réalisateur de L’Opium des talibans, en 2000, avait passé six semaines avec eux en Afghanistan, il aurait été impensable pour sa sécurité qu’il fasse de même à Tombouctou. La violence, aussi, est allée en augmentant. « Les talibans fumaient des cigarettes, l’application des sanctions n’était pas du tout aussi rigoureuse, la répression n’était pas permanente », remarque-t-il. Que le Sahel a profondément changé, et pour longtemps. « La majorité des gens à Tombouctou n’était pas du tout avec les salafistes, raconte Lemine Ould M. Salem. Les Touareg étaient avec le MNLA (groupe indépendantiste, NDLR) et les Noirs, avec l’État malien, mais certains dans les deux groupes leur étaient favorables. Aujourd’hui, ce n’est plus la Tombouctou des djihadistes. Mais il y a une grande insécurité, de la criminalité. Alors, oui, une partie de la population regrette. » Et ce sont, en effet, des vérités qui dérangent.