« Traîtresse »: une écrivaine chinoise qui a tenu un journal de confinée à Wuhan, à l’épicentre du Covid-19, est accusée de donner du grain à moudre aux critiques de la Chine en publiant son récit à l’étranger.
Âgée de 64 ans, issue d’une famille aisée d’intellectuels, Fang Fang est une romancière connue dans son pays. Intégrée au système, elle a remporté le plus prestigieux prix littéraire chinois en 2010.
Wuhanaise, elle entame un journal peu après le confinement de la métropole le 23 janvier, qu’elle publie en ligne. Achevé fin mars après 60 entrées, il raconte la peur, la colère et l’espoir des 11 millions d’habitants.
Son contenu ? Récit d’hôpitaux saturés qui refusent les malades, de son quotidien de confinée, du décès de proches, de l’entraide entre habitants, ou encore du plaisir simple de voir le soleil illuminer sa chambre.
« Un ami docteur m’a dit: nous les médecins savons tous depuis un moment qu’il y a une transmission interhumaine de la maladie, nous avons rapporté ça à nos supérieurs, mais pourtant personne n’a averti les gens », écrit-elle au 38e jour de confinement.
Sa chronique subjective d’écrivaine, présentée comme non-journalistique, a été suivie par des millions de Chinois intéressés par un point de vue différent sur l’actualité, face à des médias très contrôlés.
Mais Fang Fang est devenue controversée.
Car son journal sera publié dans les prochains mois dans plusieurs langues étrangères, dont l’anglais, l’allemand et le français. En France, il sortira le 9 septembre chez Stock sous le titre « Wuhan, ville close ».
Prétexte
Principal reproche: offrir avec cette traduction un prétexte aux étrangers pour critiquer le gouvernement chinois. Notamment aux Etats-Unis, qui accusent Pékin de réaction tardive face à l’épidémie.
« Un média américain dit déjà vouloir se servir du livre pour demander des comptes à la Chine. Bravo Fang Fang, tu donnes aux pays occidentaux des armes pour tirer sur la Chine », ironise un internaute sur le réseau social Weibo.
« Tu révèles ainsi ta nature de traîtresse », conclut-il.
« Pour combien as-tu vendu ton journal ? », s’interroge un autre commentateur, qui l’accuse de s’enrichir sur les quelque 3.900 morts de Wuhan.
Autre élément qui a enflammé le web: la présentation politisée de l’ouvrage faite par son éditeur américain HarperCollins.
Saluant un récit « mélangeant l’étrange et le dystopique », il vante une écrivaine qui s’élève contre les « problèmes politiques systémiques » d’un « pays autoritaire ».
La traduction du livre en pleine confrontation avec Washington « n’est pas vraiment de très bon goût », a déploré Hu Xijin, influent rédacteur en chef du tabloïd nationaliste Global Times.
« Au final, ce seront les Chinois, y compris ceux qui soutenaient Fang Fang au départ, qui devront payer le prix de sa renommée en Occident », souligne-t-il sur Weibo, s’attirant plus de 190.000 « j’aime ».
« Partial »
Le Global Times évoque un récit « partial » qui « n’expose que le côté sombre de Wuhan ».
Critiquée voire insultée, Fang Fang se dit victime de la « cyberviolence » de nationalistes – même si un certain nombre d’internautes lambda la critiquent également.
Conséquence: plusieurs éditeurs chinois intéressés à l’origine par la publication du texte de Fang Fang hésitent devant la polémique, affirme l’écrivaine.
« Pourquoi on ne sortirait pas ce livre ? Juste parce que certains risquent de nous utiliser ? (…) Si les gens lisent vraiment mon journal, ils découvriront toutes les mesures efficaces que la Chine a prises contre l’épidémie », argumente-t-elle dans une réponse publiée sur le site internet du magazine Caixin.
Elle promet par ailleurs de verser toutes ses royalties « aux familles des soignants décédés ».
Interrogé par l’AFP, son éditeur français Stock a justifié mardi la publication du journal par son « intérêt documentaire » à propos d’un événement « qui s’annonce comme peut-être une page de l’histoire de l’humanité ».
Face à cette lapidation en ligne, beaucoup d’internautes ont volé au secours de l’autrice sur Weibo, jugeant les attaques « disproportionnées ».
« Fang Fang ne doit rien à personne », souligne une commentatrice. « Libre à vous d’écrire un journal qui va à l’encontre de ce qu’elle raconte, de le traduire et de le publier à l’étranger ! »