"Allez venez, on y va!", lance Alfie de Vries à ses copains Jonas Poolman et Max Zegerius. Les garçons, âgés de 13 ans, empoignent pelles et râteaux et rejoignent, par un frais dimanche matin d’automne, la trentaine de jeunes déjà à l’oeuvre dans le terrain vague en friche.
Sous la houlette d’Ahmed Bularoez, 21 ans, ils arrachent broussailles et herbes folles pour mettre à jour une pierre tombale grise gravée d’une étoile de David et d’une inscription en hébreu. "Encore une tombe", s’exclame l’un des garçons.
Alfie de De Vries et ses copains sont juifs, Ahmed Bularoez est le fils d’un travailleur immigré marocain venu vivre aux Pays-Bas dans les années 70.
"L’idée de faire nettoyer un vieux cimetière juif abandonné par des jeunes juifs et musulmans nous est venue l’an dernier, après avoir filmé en caméra cachée des comportements antisémites", raconte à l’AFP le rabbin Lody van de Kamp.
La diffusion à la télévision d’images montrant des jeunes Marocains harcelant des adolescents juifs portant une kippa ou faisant le salut hitlérien dans leur direction, avait suscité une vive émotion aux Pays-Bas, inquiets d’une montée de l’antisémitisme.
Un député d’origine marocaine avait été jusqu’à proposer que des policiers en civil se fassent passer pour des juifs en arborant une kippa et puissent arrêter ainsi en flagrant délit les auteurs d’agressions antisémites.
Mais ces images avaient aussi heurté la communauté marocaine et amené Said Bensellam, l’un de ses chefs de file, à contacter le rabbin Lody van de Kamp.
Ils ont monté ensemble un projet de remise en état du cimetière juif désaffecté de Zeeburg, un quartier populaire de l’est d’Amsterdam, à forte communauté étrangère.
"Nous voulons montrer que cette mauvaise réputation est due seulement à une petite minorité", explique M. Bensellam avant d’ajouter : "nous voulons montrer notre solidarité avec la communauté juive".
"Quand vous faites quelque chose de bien, on vous appelle un ++Néerlandais d’origine marocaine++, quand vous faites quelque chose de mal, vous êtes juste un Marocain", déplore Ahmed Bularoez.
"Ensemble, on peut faire beaucoup, et en plus on aime bien ces types", dit de son cô té Jonas Poolman. Autour de lui, les adolescents rigolent. Ils se ressemblent tous dans leur combinaison de travail bleue, seule une kippa différencie certains.
"C’est un projet fantastique ici, il y a beaucoup d’Histoire", s’enthousiasme Ahmed Bularoez.
Ouvert en 1714, le cimetière de Zeeburg, avec ses milliers de tombes aujourd’hui enfouies sous les mauvaises herbes et les arbres, est l’un des plus anciens d’Amsterdam et l’un des plus grands cimetières juifs d’Europe, selon le rabbin Lody van de Kamp.
Il a été entretenu jusqu’en 1944, jusqu’à ce que la plupart des juifs d’Amsterdam partent pour les camps de la mort. "Ils ne sont pas revenus, et il n’y a eu plus personne pour prendre soin des tombes", raconte-t-il.
Cinq dimanches durant, les jeunes vont travailler ensemble pour redonner un peu de vie au cimetière abandonné. "D’une certaine façon, ce sont les morts du passé qui montrent aujourd’hui le chemin de l’avenir’, dit le rabbin Van de Kamp.