«Scandalisé». Déjà, une assemblée générale des journalistes est prévue ce matin à la cantine de France 24 où Pouzilhac devrait entendre parler du pays. Et le vote d’une motion de défiance à son endroit pourrait même être inscrit à l’ordre du jour. Car Jean Lesieur semble bénéficier d’un certain soutien de la rédaction. Au début du mois, l’arrivée probable de Christian de Villeneuve à la tête de France 24 en remplacement de Christine Ockrent déclenche la colère de la SDJ (Société des journalistes) qui y voit une manière de dégommer Jean Lesieur. Pétition largement signée dans la rédaction, rendez-vous avec Pouzilhac et les journalistes obtiennent gain de cause : «Il nous a assuré, écrit la SDJ au sortir de la rencontre, que Christian de Villeneuve ne sera pas nommé à la tête de la rédaction de France 24.» Autre motif de satisfaction pour les journalistes : l’émission confiée à Richard Labévière est supprimée. Ce drôle de pistolet de Labévière s’était fait remarquer en dénonçant, une fois viré de RFI en 2008, le «lobby sioniste» à l’origine de son licenciement. Puis début 2011, il est mystérieusement apparu dans la liste des personnels de France 24 avant d’en disparaître, mais avec une commande d’émission en poche.
Derrière la gronde des journalistes tant sur Villeneuve que sur Labévière, il y a la gronde de Jean Lesieur. On le dit «scandalisé» par l’affaire Labévière : «Ça a tendu les relations entre lui et Pouzilhac, raconte un reporter. Pouzilhac a été vexé de l’histoire Villeneuve-Labévière et vexé de l’expression du large soutien de la rédaction à Lesieur.» Au point que, depuis, le président de l’AEF n’adresse plus la parole au directeur de la rédaction de France 24, les deux hommes ne communiquant plus que par mail.
Le déclencheur de la démission de Lesieur ? Une bête histoire d’augmentation. Lesieur a prévu de promouvoir des JRI (Journaliste reporter d’images) au rang de grand reporter ; Pouzilhac veut que cette augmentation soit ponctionnée sur une enveloppe globale ; Lesieur refuse ; clash. Mais l’affaire n’est qu’un prétexte : «Ton attitude à mon égard, fermée, hostile, méprisante, depuis les événements qui ont émaillé la vie de la rédaction ces derniers jours, me navre et me blesse, écrit Lesieur à Pouzilhac. Le lien qui nous unissait, toi et moi, est aujourd’hui cassé.» (2)
Lassitude. Car les deux hommes se sont longtemps entendus comme larrons en foire. Dans la guerre Pouzilhac-Ockrent, Lesieur a toujours été au premier rang pour défendre son patron et enfoncer sa patronne. C’est ainsi lui qui, à la suite de la pseudo-affaire d’espionnage, a initié le boycott de la directrice de France 24, refusant de participer à la moindre réunion en sa présence. La démission de Lesieur, c’est, analyse un journaliste, «la trahison de l’homme lige qui a tout fait pour flinguer Ockrent». D’autres jugent que Lesieur démissionne avant d’être contraint de le faire, n’étant pas un grand adepte de la fusion en cours avec RFI. Les pro-Lesieur, eux, mettent tout sur le dos du PDG : «Pouzilhac voulait se le faire, tout a été fait pour pousser Lesieur à bout.»«Arrêtons les conneries, tempête Sabine Mellet, du SNJ-CGT, mettons tout le monde dehors, y compris Pouzilhac et repartons sur de bonnes bases pour reconstruire un véritable audiovisuel extérieur de la France.»
De tout bord, c’est la même lassitude de voir France 24, chaîne rappelons-le publique, sombrer encore un peu plus dans une crise qui n’en finit pas, sans que le gouvernement semble jamais y trouver à redire.
(1) Vincent Giret est directeur délégué de la rédaction de «Libération». (2) Ni Alain de Pouzilhac ni Jean Lesieur n’ont donné suite à nos demandes d’interviews.