Face à celui qu’elle présente comme le monsieur «zéro déficit», elle attaque sa principale mesure, le «contrat de génération», qui prévoit d’exonérer de charges patronales un employeur qui garde un senior pour former un junior embauché en CDI. «Je le dis à François, [son] contrat de génération coûte extrêmement cher et ne marche pas», attaque l’ex-ministre du Travail. Réponse calme de Hollande : «Je ne serai pas le président qui accroîtra la dette. Tout ce que j’ai proposé sera financé.» Mais Aubry continue ses tacles, sur le non-cumul des mandats puis sur le nucléaire : elle propose d’en sortir, lui de le réduire. «Nous sommes d’accord», tente le député de Corrèze. «Non, nous ne sommes pas d’accord», tranche la maire de Lille. Le vernis commence à craquer et les deux concurrents s’écharpent en se tutoyant sous l’œil des quatre autres candidats. Après avoir passé une grande partie de l’émission sur la défensive, Hollande riposte sur le terrain de la dépénalisation du cannabis, approuvée mercredi par la maire de Lille. «Il faut faire attention aux mots qu’on emploie. Est-ce qu’il faudra maintenir l’interdit ? Je l’affirme.» Avant, ultime attaque, de faire passer Aubry pour une candidate de substitution :«Si Dominique Strauss-Kahn avait été candidat à la primaire, il aurait été là, je l’aurais été aussi.» De quoi mettre un peu de piment dans un débat policé, où chacun dans son style avait commencé par décliner son CV.
Racines. Première au tirage au sort, Aubry explique pourquoi elle est taillée pour le job : «Dans toutes les responsabilités que j’ai exercées, j’ai fait reculer le chômage, j’ai rétabli les comptes de la Sécurité sociale. J’ai fait de grandes réformes, j’ai fait rayonner ma ville.» Avant d’ajouter, dans un demi-sourire : «Vous le savez, j’aime dire oui, mais je sais dire non», qualité essentielle, selon elle, pour exercer la charge suprême.
Manuel Valls veut incarner, lui, une «gauche qui dit la vérité». Le député de l’Essonne propose des «réformes concrètes mais possibles» et atténue sa voix coupante et sa ligne réformiste par une envolée lyrique : «Je vous propose ma candidature, mon énergie et mon amour pour la France.»
Au tour d’Arnaud Montebourg, le «démondialisateur». Le député de Saône-et-Loire commence par mettre en cause «la finance mondiale et les gouvernements qui ont démissionné». Il vante la nécessité qu’une nouvelle génération prenne les manettes. Et conclut : «Ma candidature est celle de la nouvelle gauche pour faire une nouvelle France.»
Habituée de ces joutes, Ségolène Royal semble avoir le trac. Elle commence par évoquer l’inquiétude des Français face à la crise. La présidente de Poitou-Charentes revient sur son parcours et ses origines : «boursière», elle a «pu franchir les obstacles sans relations et sans piston»,se félicite-t-elle pour mieux s’indigner que cela ne soit plus possible vu le creusement des inégalités. «Je veux reconstruire l’escalier social pour tous ceux qui font des efforts», lance-t-elle.
Hollande, actuel favori des sondages, adopte une gestuelle et un ton grave : «Nous sommes dans un moment décisif. Il y a un échec lourd, celui de Nicolas Sarkozy, il est cruel pour les Français.» Il cible le chef de l’Etat pour mieux se hisser à son niveau. «La seule question qui vaille, qui est posée, c’est de réussir le changement de 2012.» Il y voit trois conditions : «Il faudra de la crédibilité – sans quoi il n’y a pas de redressement possible -, de la justice fiscale – sans laquelle il ne peut y avoir d’effort consenti. Enfin, il faut une grande espérance», conclut-il. Il termine sur un aspect plus personnel : «Je me suis préparé, j’ai fait un long chemin depuis deux ans pour être prêt.»
Équilibriste. Vient le deuxième temps de l’émission, les «grands oraux», où les candidats sont interrogés à tour de rôle. Montebourg passe à la question en premier. Exercice d’équilibriste. Lui qui prône «la démondialisation financière» semble toujours à l’étroit dans le carcan du programme du PS. Défendant «une transformation en profondeur» de la société, il attaque bille en tête le système financier : «Il faut mettre sous tutelle les banques et leur interdire de spéculer avec l’argent d’autrui.» Il réclame la mise en place d’«un protectionnisme européen», qui correspond, selon lui, «à l’esprit du Traité de Rome».«Tous les autres grands pays le font. […] Les naïfs du village mondial, c’est l’Europe et encore plus la France.»Il préconise le blocage généralisé des loyers, et même que certains d’entre eux «reviennent à leur niveau d’avant la crise».
Candidate en 2007, Royal concède avec une dose d’humilité qu’elle a «changé».«J’ai pris de la densité, j’ai beaucoup travaillé. J’ai appliqué dans ma région les idées que je défendais en 2007.» Elle souhaite mettre en œuvre «une réforme des banques».«Mon premier projet afin qu’elles obéissent au lieu de commander, explique-t-elle. Qu’elles fassent enfin leur métier qui est de financer l’économie réelle au lieu de spéculer.» Elle se prononce pour la relance de l’activité économique via l’aide aux PME, assurée par des banques régionales d’investissement. Et refuse toute nouvelle hausse d’impôt. «Vous pensez vraiment que les Français sont en situation d’accepter de nouveaux prélèvements», s’interroge-t-elle, en souhaitant «une réforme fiscale juste avec une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu» afin «de faire payer les plus riches et de faire rembourser le bouclier fiscal».
«Insolents». Hollande n’hésite pas à reprendre sèchement les journalistes. Quand David Pujadas l’interroge sur «les 66 000» emplois à créer dans l’éducation, il le coupe : «Le chiffre doit être précis, c’est 60 000. J’ai même dit qu’il y en aurait 12 000 par an, dans le cadre d’une loi de programmation.»«Si vous n’envoyez pas un signal aux enseignants, si vous ne faites rien, s’il n’y a pas une grande espérance», se justifie-t-il, on restera avec «150 000 jeunes qui sortent sans diplôme». Interrogé sur les riches, il reprend son discours de 2007 : «J’ai dit que je n’aimais pas les riches insolents, la richesse indécente.»«Il a fallu attendre le quinquennat de Sarkozy pour entendre les riches dire : "Taxez-nous !"»
Manuel Valls n’est pas là pour brosser la gauche dans le sens du poil. Que ce soit sur les questions économiques ou les débats de société, il veut tenir un «langage de vérité». Sinon, «la France pourra être dégradée» par les agences de notation, et il y aura «rupture de confiance». Autrement dit, pas d’augmentation des salaires – «le promettre, ce serait mentir aux Français» -, une réforme de l’école sans moyens supplémentaires et pas de remise à plat, par exemple, des peines planchers. «On ne peut pas bouleverser toutes nos politiques», se justifie Valls, qui se présente comme le candidat de la Nation, de la République et de la laïcité. Et sa solution ne coûte pas un euro supplémentaire : «Il faut faire de nouveau aimer la France.»
Puis c’est le tour d’une Martine Aubry souriante et détendue. Elle rappelle que la suppression des niches fiscales «économiquement inefficaces et socialement injustes» permet de récupérer 50 milliards d’euros. Elle en affecte la moitié à la réduction des déficits et l’autre moitié permet de financer ses priorités, qu’elle martèle : «L’emploi, l’emploi, l’emploi. L’éducation, le pouvoir d’achat et la sécurité.» Puis elle dégaine une nouvelle proposition écolo-sociale, le prix de l’eau différent selon l’usage : «Quand vous prenez de l’eau pour boire ça doit coûter moins cher que pour remplir votre piscine.»
Auparavant, le cousin radical de gauche, le seul non-socialiste, Jean-Michel Baylet, a tenu à faire entendre sa différence. «Je ne suis pas socialiste et les socialistes sont ravis de voir un non-socialiste !» prévient le président du PRG. Qui se félicite d’être «différent» et «nullement tenu par le programme du PS» qui «ne prend pas en compte la situation d’aujourd’hui» : la crise.