Le pouvoir algérien face à deux alternatives : La transition démocratique ou le chaos .
L’ancien chef gouvernement de Bouteflika de décembre 1999 à août 2000, Ahmed Benbitour, estime dans le journal El Khabar (20 janvier 2011) que le régime algérien est désormais confronté à deux choix, et pas trois. Laisser la situation du pays en l’état au risque d’une explosion imminente ou amorcer dans l’immédiat une ouverture politique qui préserverait l’Algérie d’un scénario à la tunisienne. « La révolution du Jasmin » qui a balayé en moins d’un mois le président Ben Ali, ses clans gloutons, sa police, son régime dictatorial, offre ainsi peu de choix aux dirigeants algériens.
Après un mois d’émeutes réprimées dans le sang et les larmes, un despote s’en est allé, des clans rapaces et corrompus sont chassés, une police politique est démantelée. Un régime despotique vieux de 23 ans s’est effondré comme un château de cartes au bout d’un mois de révolte.
S’il est encore trop tôt de se pronostiquer sur l’avenir de la Tunisie dans deux mois, dans six mois, dans une une année – tant cette révolution reste fragile, tant les reliques de Ben Ali sont toujours en place, tant la reconquête des espaces de libertés confisqués demande du temps et de la patience-, on peut néanmoins avancer quelques certitudes.
En Tunisie, un régime despotique est démantelé, il fait maintenant place à une nouvelle ère. Les Tunisiens retrouvent leurs libertés. Et ce sont eux, et non une quelconque tutelle, qui décideront de leur avenir. Les Tunisiens ont acquis désormais le droit d’élire leurs représentants dans les assemblées élues ou de les congédier. C’est une première dans le Maghreb et dans le monde arabe.
En refusant de tirer sur foule, en se désolidarisant de son chef, l’armée tunisienne, contrairement à sa police, a préservé non seulement son intégrité, son unité, mais aussi son image.
De fait, elle rentre déjà dans l’histoire du Maghreb et du monde arabe comme étant cette une armée républicaine qui a été capable d’accompagner un mouvement démocratique qui a brisé les chaînes d’une dictature, plutôt que d’être une armée au service d’un président, d’un monarque.
Cette attitude de la part de l’armée tunisienne a une charge symbolique extrêmement forte en ce sens que les instituions militaires au Maghreb et dans le monde arabe sont perçues comme des instruments de répression, sinon de confiscation du pouvoir au profit d’une oligarchie et au détriment du peuple. Peut-être les deux à la fois.
L’autre certitude est cette fierté et ce sentiment d’appartenance à un destin commun qui animent aujourd’hui le peuple tunisien, ce qui devrait constituer un atout formidable pour ceux et celles qui auront à gouverner demain ce pays.
A moins de gâcher cette fierté, ce sentiment, les futurs dirigeants tunisiens pourraient s’en servir pour faire de la Tunisie un pays de liberté, de démocratie et de prospérité. C’est tout le bien qu’on leur souhaite.
Et l’Algérie ?
Le choix qui s’offre maintenant au président Bouteflika, aux dirigeants de l’armée, est limité : organiser une véritable transition démocratique qui offrirait au premier une sortie honorable ou laisser la porte ouverte au pourrissement jusqu’à ce que la cocotte explose avec des conséquences incalculables pour la stabilité de l’Algérie et de la région.
C’est que la révolution qui a mis fin à la dictature de Ben Ali a changé la donne en Algérie. Bien sûr, on entend expliquer que l’Algérie n’est pas la Tunisie. Que les dirigeants algériens disposent d’un matelas de dollars assez conséquent pour acheter la paix sociale. Que contrairement à la Tunisie, l’Algérie possède une presse libre, que les partis d’opposition activent dans la légalité. Que la censure y est moins pesante qu’en Tunisie. Tout cela est sans doute un peu vrai.
Mais la vérité est sans doute aussi simple que vraie : le régime algérien est aussi discrédité que celui qui a prévalu pendant 23 ans en Tunisie et que l’aspiration démocratique est aussi forte qu’en Algérie qu’elle n’a été en Tunisie.
Mais cette aisance financière, cette presse libre, cette opposition qui active dans la légalité, tout cela existe depuis 1 an, 3 ans, 5 ans, depuis dix ans…
En réalité, depuis son accession au pouvoir en avril 1999, le régime mis en place par le président Bouteflika a bénéficié de tous les atouts possibles et inimaginables pour faire de l’Algérie un pays apaisé, une société prospère, un Etat démocratique.
A ce régime, plus que tous ceux qui l’ont précédé depuis l’indépendance en juillet 1992, s’offrait une formidable occasion de faire de l’Algérie une puissance à tous les niveaux. Mais cette occasion a été ratée, gâchée. Résultat : en janvier 2011, le chef de l’Etat algérien est rangé au rang de dictateur, le pays figure parmi les plu corrompus de planète et le peuple algérien est qualifié de peuple « malheureux ».
Voilà donc l’image que l’on retient de l’Algérie en 2011, 49 ans après son accession à l’indépendance. Un pays à la dérive.
Alors oui, le choix qui s’offre à ses dirigeants est désormais limité dans la mesure où la population algérienne ne réclame pas du pain, du sucre et de l’huile – à supposer qu’elle l’ait réclamé -, mais un nouveau régime politique. C’est d’autant plus vrai qu’on entend maintenant les Algériens dire : Faisons comme les Tunisiens, changeons de régime, arrachons cette démocratie qui nous a été confisquée.
On les entend dire aussi : Pourquoi les voisins tunisiens sont-ils aujourd’hui maitres de leur destin alors que nous devons encore faire avec des dirigeants vieux, discrédités, corrompus, incapables de répondre à nos attentes et à nos aspirations.
Les récentes émeutes qui ont ébranlé l’Algérie, faisant 5 morts et d’importants dégâts matériels, auraient pu, auraient dû, servir d’avertissement. Les dirigeants algériens auraient pu, auraient dû, percevoir ces émeutes comme une sonnette d’alarme pour amorcer un véritable changement dans le pays. Au lieu de cela, ils ont recours, une fois de plus, à des expédients.
Décréter une baisse des prix du sucre et de l’huile… Comme si cela pouvait calmer les esprits. Encore pire, le régime s’est empressé d’ériger des barricades entre lui et le peuple.
Au mécontentement populaire, le pouvoir algérien oppose la politique de la trique. Les manifestations de rue sont interdites – elles l’ont toujours été depuis 2001 -, internet est muselé, la présence et la surveillance policière renforcée aux quatre coins du pays. Et ceux qui osent s’opposer à cette politique sont traités d’ennemis de la nation, de comploteurs, de suppôts de l’étranger quand ils ne sont pas trainés devant les tribunaux. A l’image de ce syndicaliste à qui la justice reproche d’avoir envoyé un SMS « séditieux ».
En l’espèce, le régime algérien adopte la même stratégie que celle préconisée par Ben Ali lorsque celui-ci a été confronté, durant un mois, à une véritable insurrection populaire.
Quels choix s’offrent aujourd’hui au pouvoir algérien, l’ouverture ou la répression ? La trique ou l’alternance ?
Il est permis de douter que Bouteflika soit aujourd’hui en mesure d’accomplir ce qu’il n’a pas pu, ou su, réaliser après 11 années de pouvoir. C’est à dire offrir une véritable alternative démocratique à l’Algérie. On peut même légitimement se poser la question de savoir si le bien-être des Algériens, si la stabilité du pays, comptent moins que son désir de finir ses jours, tranquillement, au Palais d’El Mouradia, loin des tumultes des villes et des villages d’Algérie.
Alors oui, comme le dit cet ancien chef du gouvernement, le pouvoir algérien fait face à deux alternatives, et pas trois : déclencher, maintenant, tout de suite, un véritable processus démocratique ou continuer de fermer toutes les écoutilles au risque de voir le pays sombrer dans le chaos