Pour préparer le terrain de cette opération armée, Washington a pour la première fois explicitement montré du doigt Damas, le vice-président Joe Biden déclarant que "les responsables de cet usage effroyable d’armes chimiques en Syrie ne font aucun doute: c’est le régime syrien".
"Le président (Barack Obama) pense et je pense que ceux qui utilisent des armes chimiques contre des hommes, des femmes et des enfants sans défense doivent rendre des comptes", a martelé le numéro deux de la Maison Blanche.
Son gouvernement doit rendre publique cette semaine une partie d’un rapport des services de renseignement étayant la responsabilité syrienne.
Selon le magazine Foreign Policy, les services de renseignement américains ont écouté un responsable du ministère syrien de la Défense "paniqué" au cours "de conversations téléphoniques avec le chef de l’unité des armes chimiques", après l’attaque de la semaine dernière.
Ce responsable a demandé "des réponses sur une frappe à l’agent neurotoxique qui a tué plus de 1.000 personnes", affirme le magazine, ajoutant que cet enregistrement est la principale raison pour laquelle les Etats-Unis se disent convaincus de l’utilisation d’armes chimiques par la Syrie.
La perspective d’une opération militaire s’est faite plus précise.
"Des moyens de défense qui vont surprendre"
D’après le secrétaire à la Défense Chuck Hagel, les Etats-Unis ont "positionné des éléments pour être capables de répondre à toute option choisie par le président": "Nous sommes prêts à y aller".
L’intervention serait limitée à une campagne ponctuelle de quelques jours de tirs de missiles de croisière Tomahawk depuis les quatre destroyers croisant au large de la Syrie, ont affirmé à l’AFP des responsables de l’administration Obama.
Toutefois, "le président n’a pas encore pris sa décision" formelle, ont insisté la Maison Blanche et le département d’Etat.
Cette montée de fièvre à Washington s’accompagne de consultations diplomatiques à tout-va menées par le président Obama et son secrétaire d’Etat John Kerry: ils ont téléphoné en cinq jours à une trentaine de dirigeants des pays alliés européens –notamment le Royaume-Uni et la France– de pays arabes, du Canada et d’Australie.
M. Kerry a aussi appelé les secrétaires généraux de l’ONU, de l’Otan et de la Ligue arabe et même ses homologues russe et syrien.
Les habitants de Damas vivent dans la peur
Après un premier appel samedi, le président Obama et le Premier ministre britannique David Cameron ont de nouveau parlé mardi "des réponses possibles de la communauté internationale au recours aveugle aux armes chimiques le 21 août", selon la Maison Blanche.
Dans la palette d’options militaires dont dispose M. Obama, le gouvernement américain a d’ores et déjà exclu l’envoi de "troupes au sol". Washington souligne aussi que "les possibilités que nous examinons ne sont pas destinées à renverser le régime" du président Bachar al-Assad.
De fait, l’objectif de cette opération ne serait pas de modifier le rapport de forces entre la rébellion et les forces syriennes, mais de "dissuader" Damas de recourir de nouveau à son stock d’armes chimiques, ont expliqué des responsables américains.
Il s’agit bien, a confirmé David Cameron, de "réduire les capacités d’utilisation" de cet arsenal.
"Une question de jours"
Les forces armées britanniques se préparent d’ailleurs aussi à une action militaire, Londres assurant également qu’il "n’essaierait pas de renverser" le président Assad. M. Cameron a convoqué le Parlement jeudi pour voter "la réponse du Royaume-Uni aux attaques à l’arme chimique".
Paris s’est dit tout aussi "prêt" à intervenir militairement pour "punir" Damas qui a "gazé" son peuple. La France prendra sa décision "dans les prochains jours", a déclaré le président François Hollande, qui recevra jeudi le président de la Coalition nationale syrienne (opposition), Ahmad al-Jarba.
Une éventuelle frappe contre la Syrie est effectivement une "question de jours", a renchéri Ahmad Ramadan, dirigeant de cette Coalition de l’opposition.
Il a fait état de "rencontres entre la Coalition, l’Armée syrienne libre (rébellion) et les pays alliés, où ont été discutées les cibles éventuelles", dont des aéroports, bases militaires et dépôts d’armes.
En réponse, la Syrie a affirmé qu’elle se défendrait.
"Nous avons deux options: soit nous rendre, soit nous défendre (…) Le seconde alternative est la meilleure", a affirmé le ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem: "Nous avons des moyens de défense qui vont surprendre".
Selon lui, une intervention militaire "servira les intérêts d’Israël et en deuxième lieu du Front al-Nosra", groupe armé jihadiste combattant avec les rebelles et qui a prêté allégeance à Al-Qaïda.
M. Mouallem a aussi "mis au défi" les pays prêts à frapper "de montrer ce qu’ils ont comme preuves" du recours à des armes chimiques.
Allié de Damas, Moscou a haussé le ton contre Washington, prévenant qu’une action armée aurait des conséquences "catastrophiques" pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Cela menacerait "la sécurité et la stabilité de la région", a ajouté l’Iran, qui soutient aussi la Syrie.
Les habitants de Damas vivent dans la peur
Dans le camp opposé, l’Arabie saoudite, qui appuie les rebelles, a appelé à une action "ferme et sérieuse" contre Damas, que la Ligue arabe a accusé d’être derrière l’attaque chimique du 21 août.
Enfin, Israël, voisin de la Syrie, lui a promis une riposte "violente" si elle l’attaquait.
Lors d’une réunion à Amman de hauts responsables militaires occidentaux et de la région, le représentant jordanien a averti que son pays ne servirait pas de "rampe de lancement" à une opération armée.
Le quotidien du Vatican, l’Osservatore Romano, a de son côté déploré la préparation d’une intervention sans attendre les résultats de la mission de l’ONU en cours en Syrie.
De fait, des experts des Nations unies sont près de Damas et enquêtent sur l’attaque chimique, qui, selon l’opposition, a tué des centaines de personnes le 21 août à Moadamiyat al-Cham et dans la Ghouta orientale, deux régions contrôlées par les rebelles à l’ouest et à l’est de Damas. Malgré des tirs sur leur convoi, ils se sont rendus lundi à Mouadamiyat al-Cham, où ils ont effectué, selon l’ONU, une collecte "productive" de preuves.
Ils devaient continuer mardi, mais leur mission a été repoussée à mercredi faute, selon M. Mouallem, de garanties des rebelles sur leur sécurité. Les insurgés ont nié ces accusations.
Dans la capitale syrienne, la perspective d’une intervention militaire imminente a semé la peur.
"Ils vont frapper Mazzé, j’en suis sûre, c’est une cible sensible", a affirmé Jihane, une femme résidant près de l’aéroport militaire de Mazzé, le plus important de Syrie, qui a décidé de plier bagage.
Les cours du pétrole ont bondi à New York, les investisseurs craignant qu’une action militaire en Syrie ne perturbe la production et le transport d’or noir au Moyen-Orient.