"Il y a un climat de terreur qui règne contre ceux qui ne jeûnent pas" durant le mois de jeûne sacré musulman du ramadan,dénonce à l’AFP l’un d’eux, Ali, la quarantaine, un technicien de cette ville kabyle située à 100 km d’Alger.
Tahar Bessalah, un entrepreneur en climatisation kabyle venu d’Alger, acquiesce. "Il faut que la religion reste du domaine du privé", dit-il en s’affirmant "musulman de tradition mais pas jeûneur".
Parmi les participants à cette action, figurent des citoyens sans affiliation et des militants politiques, surtout berbères, qui n’hésitent pas à afficher le drapeau berbère. Un étudiant de 18 ans, Lounès, va encore plus loin en arborant une pancarte sur laquelle est écrit: "Je ne suis pas arabe. Je ne suis pas obligé d’être musulman".
La ville de Tizi Ouzou a été le théâtre de troubles parfois sanglants liés aux revendications culturelles et identitaires des Kabyles qui ont très mal vécu les politiques d’arabisation imposées par le gouvernement depuis l’indépendance.
Face à un public essentiellement jeune et masculin, armé de bouteilles d’eau, de jus, de pain, de cigarettes et même de bières pour l’un d’eux, le président du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), Bouaziz Aït Chebib, a revendiqué "l’attachement ancestral" des Kabyles "à la liberté de conscience".
D’autres manifestations attendues dans d’autres communautés kabyles
"Nous voulons dénoncer l’inquisition des autorités", "l’instrumentalisation de la religion", lance-t-il, applaudi par les manifestants postés devant la préfecture sur le principal axe routier de cette ville de quelque 150 000 habitants, sans le moindre contrôle apparent de forces de sécurité. Et d’annoncer que des manifestations similaires sont prévues ce jour à Bejaïa, ville portuaire kabyle, et même en France et au Canada, où vivent d’importantes communautés kabyles.
Pendant le ramadan durant lequel les musulmans s’abstiennent de boire, de manger, de fumer et d’avoir des relations sexuelles du lever jusqu’au coucher du soleil, les restaurants sont ouverts seulement dans les hôtels de luxe, et les autorités tout autant que les religieux incitent la population à respecter le jeûne, l’un des cinq piliers de l’islam.
Jusque dans les années 1980, dans les villes au moins, les restaurants étaient ouverts et ne jeûnaient que ceux qui le voulaient.
"Islamisation rampante"
La guerre anti-islamiste de plus de dix ans (à partir des années 1990) a changé la donne. Depuis, la société civile et nombre de partis d’opposition dénoncent ce qu’ils appellent "l’islamisation rampante" de l’Algérie, accentuée avec le Printemps arabe qui a vu l’arrivée au pouvoir d’islamistes dans plusieurs pays.
Ce rassemblement à Tizi Ouzou, l’une des principales villes de Kabylie, a été lancé dans la foulée d’un contrôle de police effectué sur dénonciation le 19 juillet dans un bar fermé d’une commune proche, Tigzirt, où des jeunes déjeunaient. Le propriétaire, qui s’était vu retirer sa licence, a finalement pu la récupérer, selon la presse.
Le Wali de Tizi Ouzou, Abdelkader Bouazeghi, avait alors expliqué qu’il s’agissait de "vérifications de routine". Ce n’était pas la première fois que des mesures au moins vexatoires étaient prises contre des non jeûneurs. Des chrétiens algériens se sont même retrouvés devant la justice ces dernières années pour avoir refusé de faire carême.
"Quelque 80% des Algériens sont d’accord avec ceux qui protestent contre le pouvoir grandissant des religieux dans le pays", dit le technicien Ali. Pour Hamid, un retraité de Tizi Ouzou venu exprimer son soutien au mouvement, "il faut bien mettre un holà à tout cela: on ne peut pas forcer tout le monde à aller au paradis", la fin ultime "promise" à tout pratiquant.