Tunisie: le président Marzouki, chantre de l’union entre islamistes et laïcs

Opposant historique à la dictature déchue devenu président grâce à une alliance avec les islamistes, Moncef Marzouki se pose en rassembleur et en rempart contre le retour de l’ancien régime, mais ses détracteurs l’accusent d’avoir sacrifié ses principes au nom de son ambition.

Candidat à sa propre succession dimanche, M. Marzouki avait été élu fin 2011 par la Constituante, une consécration pour cet homme de gauche qui a vécu de longues années d’exil en France, loin de la répression du régime de Zine El Abidine Ben Ali.

Né le 7 juillet 1945 à Grombalia, à 40 km au sud de Tunis, ce père de deux filles se décrit toujours comme un "enfant du peuple au service du peuple".

Loin du faste présidentiel auquel les Tunisiens étaient habitués sous Ben Ali, il refuse ainsi symboliquement de porter une cravate et apparaît régulièrement vêtu du traditionnel burnous plutôt que d’un costume.

Après la victoire aux législatives du 26 octobre du parti anti-islamiste Nidaa Tounès, qui compte dans ses rangs des proches de l’ancien régime autoritaire de Ben Ali, M. Marzouki n’a cessé de mettre en garde contre les "menaces" pesant selon lui sur les libertés fondamentales.

"Nous ne permettrons pas que la démocratie laisse la place à la tyrannie", a-t-il récemment martelé lors d’un meeting de campagne, en appelant les jeunes à faire barrage au "retour des anciens" en votant pour lui.

Allié des islamistes

Si ce médecin neurologue formé à Strasbourg est entré à la présidence, c’est à la faveur d’une alliance de son mouvement, le Congrès pour la République (CPR) et d’un autre parti séculier avec les islamistes d’Ennahda, vainqueurs des élections d’octobre 2011.

Mais alors que de nombreux Tunisiens s’attendaient à ce qu’Ennahda, qui ne présente pas de candidat à la présidentielle, annonce son soutien à M. Marzouki, le parti a indiqué qu’il laissait "le choix à ses membres pour élire un président qui garantisse la démocratie".

Le président continue de considérer la "troïka" comme sa plus grande réussite, alors que la quasi-totalité des partis non-islamistes dénonce un accord conclu, selon eux, dans l’unique but de satisfaire une ambition présidentielle.

Moncef Marzouki a toujours défendu son choix, martelant qu’Ennahda et les forces dites "progressistes" devaient agir de concert pour assurer l’unité du pays, comparant le parti islamiste aux "chrétiens démocrates d’Europe".

Sur la scène internationale, le président se pose en VRP de l’expérience démocratique tunisienne.

A Bruxelles, à Paris, devant l’ONU, en français, en arabe ou en anglais, il ne cesse de répéter la nécessité de soutenir la Tunisie afin qu’elle ne bascule pas dans le chaos ou la répression comme les autres pays du Printemps arabe.

"Si la Tunisie échoue, vous pouvez dire au revoir à la démocratie dans le monde arabe pour un siècle", martelait-il en août à Washington.

Ces positions lui vaudront d’être classé en 2013 par TIME magazine parmi les 100 personnes les plus influentes au monde.

Mais dans son pays, M. Marzouki est loin de faire l’unanimité. Dès 2012, il est confronté aux scissions dans son propre camp et aux démissions de proches agrémentées d’insultes.

Dérapages

L’opposition, elle, dénonce sa compromission avec les islamistes qu’il a soutenus coûte que coûte jusqu’à leur départ du pouvoir en début d’année et notamment en 2013, lorsque des opposants de gauche sont assassinés, selon les autorités, par des jihadistes, entraînant une grave crise politique.

Son parti, qui était la deuxième force à l’Assemblée en 2011, n’a remporté que quatre sièges aux dernières législatives.

En outre, le chef de l’Etat dérape parfois, comme lorsqu’il fustige "les extrémistes laïques" dont l’arrivée au pouvoir provoquerait, selon lui, "une révolution (islamiste) bien plus féroce".

Quelques mois plus tard, ulcérée par la presse qui relaye régulièrement des rumeurs peu flatteuses, la présidence publie un "livre noir" des médias tout en dressant un portait laudateur de M. Marzouki.

L’ouvrage est attaqué de toutes parts, et la justice interdit à la présidence l’accès à ses propres archives.

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