Tunisie : le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, entre système et révolution

Le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, sanctionné par un vote antisystème au premier tour de la présidentielle en Tunisie le 15 septembre, tente de se présenter à nouveau comme une force révolutionnaire en prévision des législatives du 6 octobre, explique le politologue tunisien Hamza Meddeb.

Ces législatives sont cruciales pour l’avenir d’Ennahdha qui, après des décennies de clandestinité, a participé à presque tous les gouvernements depuis la révolution de 2011.

QUESTION: Quelle est la stratégie du parti pour éviter le vote sanction?

REPONSE: "Toute la stratégie d’Ennahdha depuis 2011 a été de s’intégrer au système, à tel point qu’il n’a pas échappé au vote sanction. Le parti a perdu quasiment 80.000 électeurs entre les municipales de mai 2018 et le premier tour de la présidentielle, et ses dirigeants savent que cette vague contestataire va se poursuivre lors des législatives.

Après l’élimination de son candidat à la présidentielle, le parti soutient officiellement pour le second tour l’universitaire conservateur Kais Saied, qui a repris des slogans de la révolution. C’est une façon d’accuser réception du message de ses bases, qui ont vu d’un mauvais oeil les revirements pragmatiques et les multiples concessions faites lors de l’alliance avec le parti présidentiel Nidaa Tounes, n’ayant pas porté les fruits espérés.

Ennahdha n’a pas permis d’améliorer la politique économique du gouvernement, ni d’obtenir réparation pour la répression subie par les islamistes sous la dictature par exemple.

Le parti a également évoqué des alliances avec "les forces révolutionnaires", "contre la corruption". C’est une façon de s’opposer à Nabil Karoui (magnat des médias en prison et candidat au second tour de la présidentielle, NDLR), dont le parti est donné en tête pour les législatives, et de rassurer et remobiliser ses bases, qui ne sont plus acquises.

Pour la première fois, la formation Ennahdha est concurrencée à sa droite: le mouvement Karama de l’avocat islamiste populiste Seifeddine Makhlouf s’est engouffré dans le vide laissé lorsqu’Ennahdha s’est rapproché du centre.

Elle doit aller reconquérir ces voix, ainsi que celles des centaines de milliers d’électeurs, notamment parmi les jeunes, qui ont voté pour Kais Saied ou pour le conservateur souverainiste Lotfi Mraïhi".

– "Ennahdha reste réformiste" –

Q: Est-ce que cela signifie la fin de la stratégie de consensus entre Ennahdha et le bloc centriste, qui a structuré le paysage politique depuis 2014?

R: "Il est trop tôt pour parler des alliances: elles se feront au lendemain du scrutin, une fois connu le rapport de forces.

Quand les dirigeants d’Ennahdha disent rejeter toute alliance avec les +corrompus+, je ne pense pas qu’ils soient en train de changer de stratégie du jour au lendemain et d’envisager sérieusement de rester dans l’opposition, même si c’est la volonté de certains au sein du parti.

Ennahdha sait qu’une alliance avec les forces +révolutionnaires+ ne suffirait probablement pas à constituer un gouvernement.

On a parlé d’une réunion entre (le chef d’Ennahdha) Rached Ghannouchi et M. Karoui au sujet d’une éventuelle alliance, comparable à celle conclue avec Nidaa Tounes en 2014.

Ennahdha reste un parti réformiste, qui ne veut pas casser le système mais s’y intégrer, et il est prêt à composer avec le sérail politique pour cela."

– "Profondes divisions" –

Q: La formation joue-t-elle sa survie lors des législatives?

R: "Ennahdha arrive à un tournant de son histoire et joue sa survie, non pas lors de ce scrutin, mais à moyen terme. Des divisions sont apparues depuis un an sur la stratégie d’alliance, et la direction est de plus en plus contestée.

Le parti, qui est le plus structuré du pays, tient son congrès en 2020 pour renouveler ses instances dirigeantes.

M. Ghannouchi espérait changer les statuts pour poursuivre vers un troisième mandat, mais cela est compromis, surtout si la dégringolade électorale se poursuit et que le parti se retrouve avec moins de 50 députés, alors qu’il en avait 89 en 2011.

La course pour lui succéder est déjà lancée, avec de profondes divisions de fond, qui pourraient aboutir à des scissions.

Après cette série de scrutins, il n’y a plus d’élections avant 2023. Il se peut que les élections de 2019 soient les dernières auxquelles le parti se présente de façon unifiée."

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