Pour la fête nationale, les Gabonais veulent voir leur président de leurs propres yeux

Dix mois après son AVC, le président Ali Bongo Ondimba assistera samedi au défilé militaire pour la fête nationale, une rare apparition publique que les Gabonais attendent avec impatience pour juger par eux-mêmes s’il peut toujours diriger le pays, contrairement à ce que prétendent ses opposants.

"Nous voulons le voir de nos propres yeux", martèle Jean, un policier de Libreville de 38 ans, qui préfère ne livrer que son prénom. "Je n’ai pas eu encore la possibilité de le voir, ce n’est pas normal. La situation politique nous inquiète, voilà pourquoi nous irons avec ma famille", lâche-t-il.

Depuis son accident vasculaire cérébral (AVC) en octobre 2018 en Arabie saoudite, le chef de l’Etat, aujourd’hui âgé de 60 ans, a délaissé bains de foule et conférences de presse. Il pourrait profiter de ces cérémonies pour faire son retour en public.

Jeudi déjà, il est apparu devant la presse pour une cérémonie d’hommage au premier président gabonais, Léon Mba, lors de laquelle il a pu être filmé et photographié hors du palais présidentiel, mais devant un parterre de personnalités triées sur le volet.

Le président a également prononcé vendredi soir un discours de quelque 11 minutes, enregistré et diffusé à la télévision gabonaise, comme il l’avait déjà fait début juin.

A part ces messages millimétrés et quelques mots prononcés à son arrivée à l’aéroport lors de son retour au pays en mars, les Gabonais n’ont pas eu l’occasion d’entendre leur président depuis son retour d’une longue convalescence au Maroc.

"C’est cette incertitude qui fait que la rumeur enfle", souligne Florence Bernault, historienne à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialiste du Gabon.

La présidence préfère saturer les réseaux sociaux d’images prises par ses soins, dans son bureau. Des photographies du "boss", comme on l’appelle à Libreville, sont publiées quasi-quotidiennement.

Son entourage s’appuie également sur la diplomatie. Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Guinée équatoriale, Tchad… Depuis mars, les chefs d’Etat alliés se succèdent au palais du bord de mer. Donnant lieu, là aussi, à des images officielles, sans le son.

Tests médicaux ?

"On était habitué à le voir faire des discours", souligne à l’AFP le politologue gabonais André Wilson Ndombet, qui estime que cette communication officielle et muette d’un chef de l’Etat autrefois "prolixe" nourrit le doute.

Depuis l’AVC, des rumeurs affirmant même que le président n’était plus en vie avaient pris de l’ampleur, reprises notamment par des responsables syndicaux. L’opposition moins radicale questionne, elle, la capacité du président à continuer à exercer ses fonctions. Dix personnalités de l’opposition ont ainsi déposé fin mars un recours devant la justice pour réclamer qu’il se soumette à un examen médical. Une audience en appel est prévue le 26 août.

Le défilé sera déjà "l’occasion pour le citoyen lambda de se faire sa propre opinion", résume Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, un des dix signataires d’un "Appel à Agir" réclamant ces tests médicaux. Et il appelle les Gabonais à se rendre en masse samedi aux cérémonies du 59e anniversaire de l’indépendance. "Vous pouvez, en voyant une personne se mouvoir, savoir s’il est capable de signer ou pas un document", ajoute-t-il.

Ces dernières semaines, les interrogations de l’opposition ont repris de l’ampleur, alors que le chef de l’Etat a séché plusieurs rendez-vous traditionnels. Son absence début août à la journée nationale du drapeau, cérémonie qu’il a créée en 2009 et présidée à chaque édition, a été vivement commentée dans la presse nationale.

Quelques jours plus tôt, la famille du président avait aussi défrayé la chronique.

Cornaquée par Jean-Boniface Asselé, l’oncle d’Ali et ancien proche de son père Omar Bongo – auquel le président a succédé en 2009 à la tête du pays -, la famille maternelle s’était postée devant sa résidence en exigeant de le voir, critiquant l’entourage proche du président.

Une aubaine pour les journaux de l’opposition, qui accusent le premier cercle de le manipuler. Dans leurs colonnes, les attaques s’accumulent contre le directeur de cabinet Brice Laccruche Alihanga et contre la première dame, Sylvia Bongo Ondimba.

Pour Florence Bernault, ces rumeurs doivent leur survie à "la peur du faux" des Gabonais, qui n’ont toujours pas digéré la victoire d’Ali Bongo aux élections de 2016, contestée par l’opposition et une partie de la société civile. "C’est un président qui a une légitimité très faible", souligne-t-elle.

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