Maroc : La Fondation du groupe Saham, un statut d’utilité publique et un mélange des genres

Enquête de Narjis Rerhaye (A Rabat)

La nouvelle est passée inaperçue dans le bulletin officiel du 6 novembre 2017. La Fondation Saham, le bras « bienfaisance » du groupe éponyme de l’industriel et ministre Moulay Hafid Elalamy a très officiellement obtenu le statut d’utilité publique. Le chef de gouvernement, Saadeddine El othmani, lui a accordé ce statut très prisé en signant le décret y afférent le 24 octobre 2017.

Pour le coordonateur de la fédération des associations amazigh, le statut d’utilité publique obtenu par une Fondation adossée à un grand groupe économique pose un vrai problème déontologique. « On peut supposer sans grand risque de se tromper que la Fondation saham n’a pas réellement d’indépendance dans ses prises de décision parce qu’elle est justement liée à un groupe industriel. Et cela, du point de vue de la société civile, interpelle l’éthique ! » a déclaré à Atlasinfo Ahmed Arrehmouch.

Cet activiste, avocat dans le civil, va encore plus loin en rappelant toute la difficulté pour l’obtention de l’utilité publique pour une association. « Des associations ont déposé leurs demandes dans les années 1990 et elles n’ont obtenu jusque-là aucune réponse. La fondation Driss Benzekri pour la démocratie et les droits de l’Homme dont je suis membre a demandé ce statut et ne l’a toujours pas obtenu », affirme-t-il.

Le long chemin de l’utilité publique

En 2016, un rapport gouvernemental a indiqué l’existence de 130 000 associations au Maroc. Selon les données du secrétariat général du gouvernement, 224 associations et fondations seulement bénéficient du statut d’utilité publique. A l’évidence, le ministre Moulay Hafid Elamy sait surmonter les obstacles…

La Fondation Saham a vu le jour en 2008 pour notamment « s’engager auprès de populations dans le besoin (…),faciliter l’accès aux soins des populations démunies dans les zones enclavées et favoriser l’entreprenariat par le soutien de jeunes porteurs de projets »
Et en naviguant sur le site du groupe Saham où se trouve la fenêtre consacrée à sa fondation, les liens organiques entre la fondation et le groupe sont clairement affichés et assumés. « la Fondation est attachée à la contribution de bénévoles salariés du groupe, qui apportent chaque année leur pierre à l’édifice, » lit-on en effet sur le site.

Si la fondation Saham est investie dans la prise en charge sanitaire des personnes démunies vivant les localités enclavées et ce grâce à son réseau de bénévoles, le groupe Saham a, lui, développé son pôle « santé ». A travers son réseau de cliniques « Evya », le pôle santé du groupe, MEDEN Healthcare « développe des unités médicales modernes et performantes, en ligne avec les standards internationaux », y compris en Afrique. « Pour y parvenir, le Groupe s’appuie sur un partenariat stratégique noué avec la coopérative Lavina-Asisa en 2013, leader espagnol en gestion médicale », nous apprend le site dédié aux activités économiques de Saham .

Au Maroc, le groupe Saham a acquis le centre méditerranéen d’oncologie à Tanger, construit un centre hospitalier sur une superficie d’un hectare à Marrakech et procédé au rachat de cliniques privées à Casablanca.

Des cliniques qui fonctionnent en fondations

Pour le président de l’association des cliniques privées, c’est exactement là où le bâts blesse. « Avec le statut d’utilité publique de la fondation Saham, on peut se retrouver avec des cliniques appartenant à Saham et qui fonctionneraient sur le modèle des cliniques Cheikh Zayed à Rabat et Cheikh Khalifa, à Casablanca. Ces établissements fonctionnent justement sur le modèle de fondations. Ils sont exonérés d’impôts. Ils ne déposent pas de bilan. Ils ne subissent aucun contrôle de l’administration fiscale. De plus les cliniques qui fonctionnent en fondation achètent du matériel médical en hors taxes, sans droits de douanes. Sans parler des subventions dont elles peuvent bénéficier ainsi que du personnel qui peut y être détaché. Pour les cliniques privées, cela est une concurrence déloyale car nous sommes en présence d’une médecine bel et bien à but lucratif », fait valoir Dr Mohamed Benaguida, le président de l’association marocaine des cliniques privées.

Selon le mensuel « Economie et entreprises » de ce mois de décembre, la holding de Moulay hafid Elamy aurait l’intention de céder son activité « santé », sachant que les médecins reprochent au ministre de l’industrie et homme d’affaires d’être à la tête d’un groupe qui opère tout à la fois dans l’assurance, les cliniques et l’industrie pharmaceutique avec en prime d’être au plus près de la décision politique et gouvernementale. L’information n’a été ni infirmée ni confirmée par le groupe Saham. Il y a quelques jours, à Casablanca, au salon du tourisme médical, le stand Evya, le réseau des cliniques de la Holding, n’est pas passé inaperçu.

Responsabilités gouvernementales et affaires ne font pas bon ménage. En août dernier, l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) a annoncé que Moulay Hafid Elalamy a cédé sur le marché de blocs à la Bourse de Casablanca, la totalité de ses actions Saham Assurance. Pas vraiment une cession puisque l’homme d’affaires a gardé le contrôle à travers Saham Finances…

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