Kenya: l’Occident sonne l’alarme à l’approche de la présidentielle
Vingt ambassadeurs occidentaux ont dénoncé lundi la « détérioration de l’environnement politique » au Kenya et appelé les responsables de tous bords à calmer les esprits à l’approche de la présidentielle de jeudi, organisée à la suite de l’invalidation en justice de la réélection du président Uhuru Kenyatta.
L’élection a été préparée dans la hâte par la Commission électorale (IEBC) afin de respecter la date limite prévue par la Constitution, tout en tentant de gommer les "irrégularités" ayant mené la Cour suprême à invalider le scrutin du 8 août.
Les diplomates occidentaux ont d’ailleurs soutenu lundi que si l’IEBC estime ne pas être prête à organiser l’élection, elle doit se tourner vers la Cour suprême pour obtenir un report au-delà du 31 octobre. C’est à cette date qu’expirera le délai constitutionnel de 60 jours prévu pour l’organisation d’une nouvelle présidentielle en cas d’invalidation du précédent scrutin.
"Cela ne nous poserait pas de problème", a assuré l’ambassadeur américain au Kenya, Robert Godec, s’exprimant au nom de 20 ambassadeurs occidentaux, dont celui de l’Union européenne, et semblant de la sorte se joindre du bout des lèvres aux appels de plus en plus nombreux en faveur d’un report de l’élection.
Lundi, cet appel a été formulé notamment par l’organisation kényane Nous-le-Peuple, regroupant des membres de la société civile, des médias, du monde académique et de syndicats, et par le centre d’analyse International Crisis Group (ICG), selon lequel un report "aiderait à éviter une crise au Kenya", dix ans après les pires violences post-électorales de l’histoire du pays (1.100 morts).
Au moins 40 morts
L’annulation historique de la présidentielle, le 1er septembre, avait été une victoire majeure pour l’opposant Raila Odinga, mais ce dernier a depuis annoncé ne pas vouloir participer à la nouvelle élection, soutenant que l’IEBC – accablée par la Cour suprême pour sa gestion du scrutin – n’a pas mené les réformes nécessaires pour garantir un scrutin libre, juste et crédible.
La coalition d’opposition NASA a appelé ses partisans à de nouvelles manifestations à partir de mardi contre l’IEBC "jusqu’à ce que les changements nécessaires" aient été effectués. Et M. Odinga a promis de préciser mercredi la marche à suivre pour ses partisans.
Au moins 40 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police, selon les organisations de défense des droits de l’Homme. Lundi, le ministre de l’Intérieur, Fred Matiangi, a assuré que toute manifestation serait interdite à partir de lundi minuit, date à laquelle se termine officiellement la campagne électorale.
Signe de la profonde tension entre les deux camps, la soeur de M. Odinga, Ruth Odinga, a été inculpée lundi d’incitation à la violence.
"La détérioration de l’environnement politique mine les préparatifs de la nouvelle élection présidentielle", a soutenu M. Godec, épinglant à la fois l’opposition et le parti au pouvoir. "La rhétorique incendiaire, les attaques contre les institutions et l’insécurité croissante, tout cela rend la tenue d’un scrutin juste et crédible plus difficile"."
M. Godec a à cet égard appelé le président Kenyatta à ne pas signer des amendements controversés à la loi électorale adoptés dans l’urgence par le Parlement, dominé par le parti Jubilee.
Démission
"Les attaques contre le personnel de l’IEBC doivent cesser", a ajouté M. Godec. "Personne n’est obligé de briguer un mandat ou de voter (…), mais personne ne devrait faire usage de la violence ou de l’intimidation pour perturber le droit des autres personnes à voter ou à participer" au scrutin.
Si l’IEBC n’a pas accédé à certaines requêtes majeures de l’opposition, dont l’éviction de nombreux responsables et le choix de nouveaux fournisseurs de matériel électoral, M. Godec a souligné que certaines mesures avaient été prises par l’IEBC en vue du nouveau scrutin.
Le 18 octobre, une des commissaires de l’IEBC a toutefois démissionné, estimant impossible la tenue d’un scrutin crédible, alors que le président de la commission, Wafula Chebukati, s’est estimé incapable, en l’état, de garantir l’équité de l’élection.
M. Odinga, 72 ans et déjà trois fois candidat malheureux à la présidence, estime que son retrait, qu’il n’a cependant pas formalisé, devrait entraîner l’annulation du scrutin et l’organisation d’un tout nouveau processus électoral. Cette solution est rejetée par M. Kenyatta, 55 ans, qui insiste sur la tenue du scrutin le 26 octobre. (afp)