Joyeux Ramadan J-6

– Narjis Rerhaye –

Le sixième jour du ramadan a toujours le goût de la harira de ta mère. Ta madeleine de Proust à toi sent définitivement la coriandre. C’est comme ça depuis que celle dont tu es la prunelle des yeux organise ce f’tour annuel où toute la famille est réunie au grand complet. Ahmed, le cousin de ton père, en profite d’ailleurs pour brandir l’arbre généalogique de ta tribu. Ses branchages s’étendent un peu partout à travers le pays. Ta tante, bent l’ONEP qui se targue d’être une championne du vivre-ensemble, s’empresse de pousser un « oh » d’extase devant l’arbre en question. « Nous sommes véritablement une addition, la somme d’un brassage culturel ». Depuis qu’elle se rend au festival des gnaouas –c’est sa cinquième année consécutive- ta tante est très fusion…

Pour son f’tour annuel, ta mère a mis les petits plats dans les grands. Pourtant, ces agapes vespérales n’ont jamais été ton bol de harira. Dans le salon marocain maternel, le vivre ensemble a ses limites. Ton oncle est le premier à ouvrir les hostilités, l’air de ne pas y toucher. D’après ton père, il a toujours été sournois. « Alors vous l’avez vu cette photo d’Abdelilah Benkirane en gandoura chez son coiffeur de quartier, prise par son chauffeur avant de la poster sur son compte facebook? Genre il attendait son tour comme tout le monde. C’est quand même quelque chose pour un ancien chef de gouvernement qui a gardé sa berline de fonction, son chauffeur, ses gardes du corps et les forces de l’ordre comme gardiennes de sa villa. Il est vraiment humble. Il n’ya pas à dire », lance ton oncle en te faisant un clin d’œil appuyé. Tu détournes le regard. Tu ne tires jamais sur les ambulances fût-elle celle de Benky…

Ton grand-père qui continue de voter Istiqlal histoire de ne pas trahir Sidi Allal n’a jamais été en odeur de sainteté avec les islamistes du PJD. Entre la chebbakia et l’œuf dur, il bougonne : « yallah Benkirane est chez le coiffeur et il le fait savoir. Et Saadeddine El Othmani, il est où, lui ? Il a disparu des radars. On lui a coupé la langue ou quoi ? Pas un mot sur ce qui se passe à Al Hoceima. Ce n’est pas normal. De mon temps… ». Ta mère s’empresse de lui couper la parole. Elle ne veut pas de politique à sa table de f’tour. « Et Saad Lemnjarred, vous avez vu son f’tour parisien ? M’semmen, chebbakia, sellou, jus d’orange. Le pauvre, il en avait bien besoin après Fleury Mérogis ».

C’est à ce moment précis que ta communicante de cousine a choisi de rompre la paix sociale qui régnait dans le salon de ta mère. Depuis qu’elle est activiste sur les réseaux sociaux, elle s’indigne pour un oui et pour non et démarre au quart de tour. « Mais ma tante comment peux-tu te réjouir du f’tour de cet homme qui est soupçonné de viol aggravé et qui est en attente de jugement, bracelet électronique à la cheville ? Tu es une femme et tu devrais être solidaire de toutes les femmes victimes de violence ». Silence assourdissant autour de la table du f’tour de celle qui t’a mise au monde, toi la prunelle de ses yeux. Un ange passe. Puis, deux, trois, quatre, dix… Tu décides de sauver le f’tour de ta mère. Tu lui dois bien ça surtout que tu es super intéressé par le paradis qui est sous pieds. Alors, tu fais diversion et relance la conversation. « Qui suit Dar Al Ghouzlane sur Al Oula ? » Question magique qui fait tout oublier : le Rif, Benkirane, El Otmani, Lemjarred. Les commentaires de ta tribu sur les programmes ramadanesques d’Al Oula fusent de partout. Merci qui ?

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite