Hollande, Fillon, Guéant: les responsables politiques à l’écoute de religieux « inquiets »

Hollande, Fillon, Guéant: les responsables politiques à l’écoute de religieux « inquiets »
Mercredi 7 mars fut sans conteste la journée des grandes explications entre les cultes et les responsables politiques de droite et, hasard de calendrier, de gauche. Il n’est pas sûr pour autant que les sujets liés à la laïcité et à l’exercice des cultes aient définitivement déserté la campagne électorale. Cette séquence a en tout cas ravivé les inquiétudes des responsables religieux sur une fragilisation de la liberté de culte par une lecture "stricte" de la laïcité.

Empêtré depuis plusieurs jours dans la polémique lancée par Marine Le Pen sur l’encadrement de l’abattage rituel, puis réactivée par le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, par le président de la République et par le premier ministre, le gouvernement s’ efforce désormais de calmer le jeu. Jeudi 8 mars, le président-candidat Nicolas Sarkozy a estimé sur RMC et BFMTV que "faire le lien" entre vote des étrangers aux élections locales et viande halal – comme l’avait fait le ministère de l’intérieur, Claude Guéant – était "excessif", mais a-t-il ajouté ne pas parler d’un risque de communautarisme, est "excessif aussi".

L’opération déminage sur le dossier de l’abattage rituel avait débuté avec M.Sarkozy, dès mardi 6 mars, lors de l’émission Des paroles et des actes: il avait tempéré ses propos précédents en jugeant ces polémiques "sans intérêt" et en appelant de ses voeux un "étiquetage de la viande sur la base du volontariat", une manière de rassurer religieux hostiles à un étiquetage obligatoire jugé "stigmatisant et discriminant ".

La séquence apaisement s’est poursuivie mercredi avec les échanges entre le premier ministre et les responsables juifs et s’est achevée jeudi avec la venue des responsables musulmans à l’Hôtel Matignon. A l’issue de leur rencontre avec François Fillon, le grand rabbin de France et le président du consistoire, ont estimé que « l’incident » était « clos ». Ils faisaient allusion aux propos controversés de M.Fillon qui s’était publiquement interrogé sur la légitimité des traditions ancestrales des juifs et des musulmans en matière d’abattage rituel.

Selon les responsables juifs, M.Fillon leur a apporté des garanties sur l’abattage rituel afin qu’il puisse « continuer à se faire sans qu’il soit mis en péril ». Le président du consistoire, Joël Mergui a néanmoins a reconnu qu’il fallait travailler « sur l’information du consommateur mais en évitant les risques de stigmatisation et les répercussions sur nos modèles d’abattage ». "Pour l’instant nous sommes en état d’alerte il faut qu’on continue à travailler à avoir des garanties que nous avons entendues du premier ministre ».

Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim a pour sa part indiqué que M.Fillon s’était « défendu d’avoir voulu viser la religion et la communauté juives, même s’il subsiste des poches de divergences dans la compréhension de tel ou tel mot ». « Nous devons rester vigilants. Cette question se reposera que ce soit avec les mêmes hommes ou d’autres hommes". M.Mergui a demandé aux partis politiques de laisser les religions « un peu tranquilles » et qu’ils s’engagent à "protéger notre liberté de conscience, notre liberté de culte". Interrogé par Le Monde, M.Mergui ne cache pas les "inquiétudes" de la communauté juive "fragilisée" par ces polémiques. "Nous avons connu une période où l’antisionisme rejoignait l’antisémitisme. Aujourd’hui la crainte est de voir la laïcité entrainer une nouvelle forme d’anti-judaïsme".

Au sortir de chez M.Fillon, jeudi, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui a également déclaré avoir "tourné la page"."Plus on se retire de cette polémique, mieux c’est. Nous avons demandé à tous les hommes politiques de se concentrer et de proposer des solutions pour le bien-être de nos concitoyens". Selon lui, les musulmans ne sont "pas contre le droit du consommateur à être bien informé. Simplement le débat est ailleurs: quel type d’information devons-nous donner aux consommateurs? Il ne faudrait pas que cette information soit stigmatisante pour les musulmans de France", a-t-il expliqué. Le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur a pour sa part annoncé la création d’une "commission théologique" sur la question de l’abattage rituel. Le CFCM, dont il fut président durant cinq, était censé élaborer une charte nationale du halal. Mais les différents responsables musulmans ne sont toujours pas parvenus à se mettre d’accord.

Quand Guéant tacle Hollande

A gauche, la séance d’explication du candidat socialiste sur sa proposition d’inscrire les deux premiers articles de la loi de 1905 dans la Constitution, s’est déroulée tout au long de l’après-midi de mercredi et a donné l’occasion aux représentants des cultes, dubitatifs sur l’intérêt d’une telle mesure, de présenter leurs propres préoccupations. François Hollande, accompagné de Jean Glavany, le "Monsieur laïcité" du parti socialiste, à l’origine de la proposition, a reçu tour à tour les représentants protestants, musulmans et catholiques. Il devrait recevoir les responsables juifs dans les prochains jours. Les catholiques ont souhaité conservé la plus grande discrétion sur leurs échanges avec M.Hollande.

Le président de la Fédération protestante de France, le pasteur Claude Baty, a présenté au candidat socialiste, à qui il avait demandé un entretien de longue date, un document que les protestants ont élaboré dans le cadre de la campagne présidentielle sur neuf thèmes: accueil des étrangers, sécurité, fin de vie… Mais ils ont aussi abordé la question de la constitutionnalisation du titre 1 de la loi de 1905 et de ses conséquences. "L’application de toutes les autres lois permettant le financement des cultes deviendrait problématique" estime M.Baty. La FPF considère néanmoins que cette mesure pourrait être l’occasion "de toiletter" cette loi qui comprend selon elle des articles obsolètes.

M.Moussaoui a pour sa part insisté sur la lutte contre les actes anti-musulmans, en forte hausse, et déploré la polarisation des débats sur la question du voile islamique. Selon M.Moussaoui, M.Hollande a d’ailleurs estimé qu’il fallait "oublier" le texte proposé par la gauche et adopté par le Sénat en début d’année, qui vise à encadrer l’expression religieuse des assistantes maternelles à domicile; ce texte avait suscité une forte indignation dans la communauté musulmane.

Dans ce contexte, preuve que le sujet de la laïcité demeure éminemment politique, le ministre de l’intérieur vient de tacler la proposition de M.Hollande de constitutionnaliser la loi de 1905, qualifiée « d’aventurisme juridique déstabilisant et dangereux pour notre cohésion nationale ». Dans une lettre adressé à Jean-Pierre Machelon qui vient de publier un petit ouvrage sur la laïcité (La laïcité demain, exclure ou rassembler, éd. CNRS), le ministre estime que « donner une valeur constitutionnelle à cette loi c’est mettre de l’instabilité dans une construction façonnée depuis plus d’un siècle ».

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