France: Ces binationaux privés de mariage homo
Des homosexuels de onze pays ne peuvent bénéficier de la loi française, selon la circulaire précisant les conditions d’application du texte.
Que prévoit cette circulaire ?
Beaucoup de militants sont tombés des nues en découvrant la circulaire. Même en ayant suivi les débats dans l’hémicycle, à aucun moment, ils n’ont entendu parler de ces restrictions au droit commun, avant cette fameuse circulaire du 29 mai. Où il est en effet indiqué que pour les ressortissants de onze pays, «la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle», c’est-à-dire la loi de leur pays d’origine. Sont concernés : les ressortissants d’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, du Cambodge, du Laos, de Pologne, de Slovénie, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro de Serbie et du Kosovo. Le mariage entre homosexuels n’étant autorisé dans aucun de ces pays, il ne peut pas l’être théoriquement en France, quand bien même l’autre conjoint est français. «C’est un sujet compliqué, éminemment diplomatique, soupire Erwann Binet, le rapporteur PS de la loi. Ce n’est pas du ressort du législateur, c’est pour cela que nous n’en avons pas débattu à l’Assemblée. Les conventions internationales ont un rang supérieur au droit français dans la hiérarchie des normes. C’est ainsi. Nous n’y pouvons rien.»
D’où sortent ces conventions internationales, peut-on y déroger ?
Il faut remonter longtemps en arrière, certaines datent de l’époque de la décolonisation, comme celle passée avec l’Algérie en 1962 lors des accords d’Evian. «A l’origine, ces conventions ont surtout été pensées pour protéger les ressortissants français vivant à l’étranger. Dans les pays liés par une convention, nos compatriotes avaient l’engagement d’être régis par la loi française», explique Hugues Fulchiron, professeur de droit international à Lyon-III. Il s’est replongé dans les accords, les a potassés un à un. «Pour ceux nous liant à l’Algérie, la Tunisie, le Cambodge et le Laos, il n’est précisé à aucun moment que la France s’engage en retour à appliquer le droit du pays d’origine sur son territoire. Ce n’est qu’une interprétation.» Pour ce juriste, il est donc tout à fait possible de passer outre, sans provoquer de crise diplomatique. «Je ne dis pas que c’est simple, mais c’est une difficulté surmontable, surtout pour les quatre pays où la notion de réciprocité n’est pas précisée.» Au ministère des Affaires étrangères, on reconnaît qu’en effet, «pour trois ou quatre pays, la convention en vigueur ne s’opposerait pas à ce mariage», assurant qu’une «réflexion interministérielle est en cours». Pour les sept autres Etats, l’équation est un peu plus compliquée.
Mais jouable aussi, selon Hugues Fulchiron, si l’on invoque la réserve d’ordre public. Selon le droit marocain par exemple, une femme musulmane doit obligatoirement épouser un homme de la même confession. Or «la France n’en a jamais tenu compte, car c’est contraire à nos principes essentiels. Pourquoi ne pas considérer qu’il en est de même pour le droit de se marier entre deux personnes du même sexe ?» interroge le juriste.
Pourquoi avoir mentionné ces conventions ?
«Ah ça, c’est bien ce qu’on se demande tous», réagit Flor Tercero, présidente de l’association des avocats pour la défense du droit des étrangers. «A la limite, un maire tatillon aurait pu les ressortir et la justice aurait tranché. Mais il n’y avait aucune raison de les mentionner dans la circulaire, à moins que ce ne soit pour éviter les mariages blancs. Mais croire à un appel d’air, c’est absurde.» Pour Erwann Binet, ce rappel des conventions est «complètement normal. C’est l’objectif même d’une circulaire que d’expliquer l’état du droit aux fonctionnaires». Et le député de renvoyer la balle dans le camp du ministère des Affaires étrangères «qui doit dire si on respecte les conventions à la lettre ou pas». Il a déposé une question écrite au ministre Laurent Fabius.
Combien de personnes se sont vu refuser le mariage ?
Difficile de savoir combien de couples binationaux sont concernés depuis la loi sur le mariage pour tous. Certains sont stoppés dès le guichet, au moment du retrait du dossier administratif, raconte Philippe Colomb, président de l’association Ardhis, qui milite pour le droit des homosexuels à l’immigration. Il a lancé un appel à témoignages et en a déjà récolté une vingtaine qu’il entend déposer sur le bureau de Christiane Taubira«quand elle acceptera enfin de nous recevoir». «Pour l’instant, la ministre ne s’est toujours pas exprimée publiquement, déplore le président de l’association. Je ne sais pas si le gouvernement mesure l’ampleur de la déception : on s’est battus pour la loi et aujourd’hui on a le sentiment d’avoir été trahis. Et notamment les Maghrébins : ils ressentent déjà beaucoup de discriminations, en voilà une de plus.» Contacté par Libération, le cabinet de la garde des Sceaux assure que la ministre recevra les associations en septembre.
Marie Piquemal