Espionnage: la Suisse ambitionne de devenir le coffre-fort numérique du monde

Espionnage électronique, scandale de la NSA… alors que les groupes technologiques américains sont accusés de collaborer avec les services secrets, en Suisse les entreprises de stockage de données voient les clients affluer et elles ambitionnent de devenir le coffre-fort numérique du monde.

Grâce notamment aux anciens bunkers de l’armée suisse construits sous les Alpes du temps de la Guerre froide, et dont les autorités se défont petit à petit.

Comme celui situé près d’Attinghausen, au coeur de la Suisse. Un vrai repère à la James Bond. Son adresse: un code GPS secret. Un bunker de 15.000 m2, désormais aux mains de la société suisse Deltalis, qui y gère depuis 2011 un centre de données informatiques qui n’occupe pour l’instant que 600 m2.

"Quand j’y suis entré" pour la première fois "une émotion m’a submergé", a expliqué à l’AFP un des dirigeants de Deltalis, Andy Reinhardt.

Situé à 200 m à l’intérieur de la montagne de granit et à 1.000 m sous sa cime, protégé par des portes anti-nucléaire en acier de 4 tonnes, cet espace n’est autre que l’ancien QG de l’armée suisse.

Seules 12 personnes travaillent dans ce gigantesque dédale de couloirs où l’on découvre sur les murs d’anciennes cartes militaires de la Guerre Froide et d’immenses bassins recueillant les eaux souterraines. Pour y entrer, la procédure est longue: laisser sa carte d’identité, vérification de l’empreinte veineuse, encore plus fiable que l’empreinte digitale, passage par un sas de sécurité. On franchit ensuite une porte anti-nucléaire qui donne sur un long couloir dont les parois ondulées en béton évoquent une caverne. Au bout, comme dans un monde futuriste surveillé par des caméras, un couloir immaculé, une porte, une pièce blanche, où se trouve du matériel informatique branché en permanence.

Ces machines hébergent et actualisent en permanence les données numériques de toute personne ou entité qui souhaitent garder un double de leurs informations pour parer à une panne informatique ou électrique, un tremblement de terre ou une attaque terroriste. Les données doivent être protégées des dégâts extérieurs ou de tout risque d’intrusion.

A l’ère de l’espionnage électronique, les 55 centres de données suisses (selon le site datacentermap), qu’ils soient en plaine ou en montagne, profitent de l’image de sécurité et de stabilité de la Suisse.

Les révélations sur le système de surveillance cybernétique américain distillées depuis juin par Edward Snowden, ex-consultant de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA), ont montré que les géants de l’internet comme Facebook, Google, Skype et Yahoo, transmettaient les données de leurs utilisateurs aux services de renseignement américain.

"J’ai deux choses à dire: comme citoyen européen, je trouve incroyable ce que font les Américains. Deuxièmement, tout cela est très positif pour nous car cela a triplé notre business dans un laps de temps très court", déclare à l’AFP Christoph Oschwald, un des dirigeants de Mount10, qui propose aussi des centres de données sous les Alpes, appelés Fort Knox et abritant les données du Parlement suisse.

Après le scandale de la NSA, dit-il en souriant, "c’est fantastique. Je n’ai plus besoin d’expliquer aux clients pourquoi il faut payer".

En Suisse, où "les données personnelles constituent un bien précieux" selon les autorités fédérales, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Le constat est le même partout. Susanne Tanner de Greendata, un autre centre de données, affirme à l’AFP que ces derniers mois les "entreprises helvétiques qui utilisaient des serveurs à l’étranger veulent revenir en Suisse".

"Globalement plusieurs clients depuis l’affaire Snowden sont un peu plus sensibilisés aux problématiques de protection des données. Plusieurs clients nous ont demandé de (…) rapatrier leurs données en Suisse", a aussi déclaré à l’AFP le directeur de Kyos, société suisse de services spécialisées en informatique.

Affaire Snowden: une piqûre de rappel

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Selon Dominik Hauri, de l’Institut d’études économiques de Bâle (IWSB), la Suisse, outre sa stabilité et ses excellentes infrastructures électriques et informatiques, peut devenir un "refuge sûr" grâce à ses dispositions restrictives en matière de protection des données.

Sur le plan légal, la réputation helvétique en termes de confidentialité et de sécurité reste un atout maître, même si elle a été ternie par l’abandon du secret bancaire.

"Dans les autres pays, toutes sortes d’institutions ont accès à ces données, chez nous il faut avoir la permission d’un juge. Ce qui est un grand avantage comparatif par rapport par exemple aux Etats-Unis", explique le président de l’association suisse des télécommunications, Peter Gruter.

Dans ce contexte, l’affaire Snowden aura fait l’effet d’"une piqûre de rappel", considère M. Reinhardt de Deltalis. Car cela fait au moins deux ans et demi que de plus en plus de sociétés étrangères veulent avoir leurs données hébergées en Suisse, commente aussi Marco Dottarelli, le patron d’Equinix Suisse, dont les centres abritent à Zurich la Bourse suisse.

Pour beaucoup, la Suisse a déjà trouvé un nouvel eldorado, au moment où l’abandon du secret bancaire met à mal ses traditionnelles activités financières.

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