Espagne: l’extrême droite derrière les poursuites contre les indépendantistes

Derrière les poursuites judiciaires intentées par le parquet espagnol contre les indépendantistes catalans, se profile un petit parti d’extrême droite Vox, fondé il y a quatre ans, qui s’est attribué un rôle clef dans l’accusation.

Vox (Voix en latin) se sert comme d’un tremplin de la procédure d’accusation populaire qui, en droit espagnol, permet à un particulier ou une organisation de saisir la justice, même sans être directement impliqué ni victime du délit.

Son secrétaire général, l’avocat Javier Ortega, a endossé en 2017 un rôle d’accusateur dans l’enquête qui vise des dirigeants catalans pour le processus indépendantiste ayant abouti à la tenue d’un référendum interdit et la vaine proclamation d’une "République catalane" en octobre 2017.

"Quand un prévenu comparaît devant le juge d’instruction à la Cour suprême, Javier Ortega lui pose des questions ainsi qu’aux témoins", explique à l’AFP le président de Vox, Santiago Abascal. "Nous expliquons aussi notre position au juge" quand il doit prendre une décision.

Or la position de Vox est celle d’un parti d’extrême droite qui taxe sans cesse de "faiblesse" le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy (Parti Populaire, PP) et pourfend les indépendantistes catalans comme des "ennemis".

Pour Vox, il faudrait interdire les partis sécessionnistes – ayant remporté les élections de décembre en Catalogne avec 2 millions de voix – et reprendre aux communautés autonomes la plupart de leurs compétences.

Ne rien négocier

Surtout ne rien négocier: "ne pas donner davantage de pouvoir à la Catalogne mais lui en reprendre", résume M. Abascal.

Cet ancien député du PP au Pays basque, âgé de 41 ans, répète volontiers que l’organisation armée basque indépendantiste ETA a voulu tuer son grand-père, son père et lui-même.

Et il assimile les indépendantistes catalans aux "étarras" basques, même s’il admet que les premiers ont emprunté "la voie pacifique" tandis que l’ETA a fait plus de 800 morts.

"Cette accusation populaire obtiendra bientôt que les indépendantistes purgent de longues peines en prison", clamait Me Ortega, le 10 mars, dans un théâtre madrilène empli d’un millier de sympathisants.

Cette offensive a des effets concrets.

"C’est par exemple à la demande de l’accusation populaire exercée par Vox que le juge de la Cour suprême a décidé de maintenir en prison Joaquim Forn", ancien membre du gouvernement régional catalan, alors que le procureur général demandait sa remise en liberté, constate Ignacio Gonzalez Vega, porte-parole de l’association Juges pour la démocratie.

"Si personne ne le demandait, le juge ne pouvait pas le décider", souligne-t-il.

"C’est une affaire où l’on voit de toute évidence une interférence politique dans la justice", commente le professeur de droit Julio Pérez Gil, critique envers l’accusation populaire à laquelle il a consacré une thèse.

Certes, "des questions très importantes ont fait l’objet de procès grâce aux accusations populaires", dit-il, "mais c’est un cheval de Troie dans le système: un intérêt qui peut-être économique, politique, électoral, publicitaire… interfère dans l’accusation "

Vox assure en bénéficier. "Nos meetings se remplissent, le nombre d’adhérents croît", affirme son président, "c’est la conséquence de notre position belligérante comme accusation populaire dont les médias se font l’écho".

Dans son dernier film de propagande, le parti présente comme "un héros" le défunt procureur général José Manuel Maza, qui avait lancé contre les indépendantistes catalans les premières poursuites pour "rébellion" en invoquant un "soulèvement violent" qui, selon d’autres juristes, n’a jamais eu lieu.

Après avoir obtenu le score infime de 0,20 % aux législatives de 2016, le parti rêve de faire son entrée au Parlement européen (ratée de peu en 2014) puis à la chambre des députés.

Il met en avant de nouvelles recrues issues du PP, tel Rafael Bardaji, haut responsable de la Fondation Faes présidée par l’ex-Premier ministre José Maria Aznar.

Contacts avec le FN

Le parti se reconnaît des points communs avec les extrêmes droites européennes et a eu "quelques contacts avec le Front national" en France, selon M. Abascal.

Reste que le petit pourcentage d’Espagnols se situant à l’extrême droite reste stable: 2,5 % en janvier 2018 comme en janvier 1998, selon les sondages du CIS.

"L’ultra-droite n’est pas représentée en Espagne par un parti spécifique qui aurait du succès depuis 1977", année du retour à la démocratie après la dictature de Franco, rappelle l’historien Carlos Gil Andrés.

C’est "fondamentalement parce que le PP rassemble amplement les sensibilités et identités les plus nationalistes espagnoles, conservatrices et catholiques, du centre à l’extrême droite".

Pour le politologue Gabriel Colomé, "Vox gagne du poids médiatique mais n’a pas de poids politique ni électoral et ne l’aura pas car même s’ils revendiquent que c’est grâce à eux que les indépendantistes se retrouvent en prison, l’opinion l’attribuera au PP et à Ciudadanos", parti libéral ayant obtenu le plus de voix en Catalogne en décembre. (afp)

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