Derrière la fermeture d’un consulat, la colère américaine contre l’espionnage industriel chinois
Une compétition acharnée pour la suprématie économique et technologique, sur fond de course au vaccin contre le Covid-19: la fermeture d’un consulat de Chine aux Etats-Unis, accusé d’espionnage, est une nouvelle illustration de la confrontation aux allures de nouvelle Guerre froide entre Washington et Pékin.
Que sait-on de cette nouvelle affaire?
La diplomatie américaine a invoqué la protection de « la propriété intellectuelle » pour ordonner la fermeture du consulat chinois à Houston, au Texas. Cette mission diplomatique est en fait « le coeur » d’un « vaste réseau d’espions », a renchéri le sénateur Marco Rubio, président de la commission du Renseignement.
Sans établir un lien direct, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a relevé que sa décision spectaculaire intervenait dans la foulée de l’inculpation, par la justice de son pays, de deux Chinois soupçonnés d’avoir mené des cyberattaques contre des entreprises impliquées dans la recherche d’un vaccin contre le coronavirus.
Houston est d’ailleurs un des plus grands pôles mondiaux de recherche biologique et médicale.
« Le département d’Etat n’a pas dû prendre une telle décision à la légère, dès lors qu’elle provoquera presque certainement la fermeture d’un de nos propres consulats », a tweeté l’ex-diplomate Molly Montgomery, chercheuse au cercle de réflexion Brookings Institution.
Que reproche Washington à Pékin?
C’est en fait un contexte d' »espionnage massif » imputé à la Chine qui semble avoir motivé cette mesure de rétorsion.
« Il ne fait aucun doute que la Chine représente une menace phénoménale en termes d’espionnage pour les Etats-Unis », estime Abraham Denmark, du centre de recherche Wilson Center — tout en s’interrogeant sur l’efficacité de la fermeture du consulat.
Les accusations de vol des secrets industriels américains par des espions chinois ne datent pas d’hier.
Mais Donald Trump en a fait un thème majeur de sa guerre commerciale avec Pékin, reprochant à ses prédécesseurs d’avoir laissé le champ libre aux ambitions chinoises, et promettant dès avant son élection en 2016 de rétablir l’équilibre entre les deux premières puissances économiques mondiales.
Et maintenant que la confrontation se durcit et s’étend à toute une série d’autres dossiers, de Hong Kong aux droits des musulmans ouïghours en passant par les ambitions chinoises en mer de Chine méridionale, le sujet de la propriété intellectuelle est à nouveau brandi par Washington.
Le directeur de la police fédérale américaine, Christopher Wray, a fait état début juillet d’une « hausse de 1.300% des dossiers d’espionnage économique impliquant la Chine » au cours des dix dernières années.
« Le FBI ouvre une nouvelle enquête de contre-espionnage liée à la Chine toutes les dix heures », a ajouté son patron, qui voit dans ces campagnes coordonnées par le Parti communiste chinois « la plus grande menace à long-terme » pour la sécurité des Etats-Unis.
Quels sont les domaines visés?
Le ministre de la Justice Bill Barr a aussi eu des mots durs à l’égard des grands noms de Hollywood et de la Silicon Valley, comme Disney, Google, Microsoft, Apple ou Yahoo, « bien trop prompts à collaborer avec le Parti communiste chinois », par peur de perdre l’accès au vaste marché du géant asiatique.
Mais la crise sanitaire mondiale a probablement exacerbé ces tensions: le président Trump accuse les autorités chinoises d’être responsables de la propagation du nouveau coronavirus.
Or, dans ce contexte, Washington affirme aussi depuis mai que Pékin tente de pirater la recherche sur un vaccin, qui fait l’objet d’une compétition effrénée entre laboratoires pharmaceutiques et grandes puissances — une affirmation que semblent étayer au moins partiellement les inculpations de cette semaine.
Pourquoi maintenant?
Bill Barr a, plus largement, mis en garde contre la « blitzkrieg économique » menée selon lui par la Chine pour « dépasser les Etats-Unis en tant que première superpuissance mondiale ».
Cette crainte d’un déclassement américain est très prégnante à Washington, où le sentiment anti-Pékin est de plus en plus diffus au sein de la classe politique.
A bientôt cent jours de la présidentielle américaine du 3 novembre, alors que son adversaire démocrate Joe Biden rivalise aussi de fermeté, Donald Trump veut démontrer qu’il met en pratique son slogan « America First », ou « l’Amérique d’abord ».
La Chine est d’ailleurs devenue le sujet quasiment unique et omniprésent de sa politique étrangère.
Les faucons de son administration s’emploient à donner à la confrontation une dimension idéologique, à l’instar de Mike Pompeo qui doit prononcer jeudi un discours sur « la Chine communiste et l’avenir du monde libre ».
« L’administration américaine parle désormais presque uniquement du Parti communiste chinois pour évoquer la Chine. Une manière crue de transformer une rivalité entre grandes puissances en croisade idéologique », a noté sur Twitter l’ex-ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud.