Les États-Unis et le Maghreb : que veut faire Trump ?
Les États-Unis ont toujours joué à l’équilibriste au Maghreb. Les enjeux géopolitiques en Afrique du Nord ont évolué vers une priorisation de la stabilité et de l’intégration économique. le président américain Donald Trump cherche à réconcilier Alger et Rabat pour freiner notamment l’influence russe et chinoise en Afrique.
Jusqu’au milieu des années 2010, les États-Unis pratiquaient un containment par la rivalité : garder le Maroc et l’Algérie dans une tension maîtrisée afin d’éviter l’émergence d’une puissance régionale au Maghreb. Cette logique reposait sur le principe classique « diviser pour mieux régner ». Le conflit du Sahara marocain et la fermeture de la frontière algéro-marocaine depuis 1994 alimentaient cet équilibre.
Depuis quelques années, l’approche a changé. L’avancée russe (Wagner puis Africa Corps), puis chinoise en Afrique subsaharienne combinée à la perte d’influence française au Sahel ont changé la donne pour les Américains. Washington veut désormais arrimer les deux principales puissances militaires et économiques du Maghreb (Maroc et Algérie) à son axe pour :
- Contenir l’influence russo-chinoise au Sahel et en Libye
- Assurer l’approvisionnement énergétique depuis l’Algérie
- Stabiliser les flux migratoires et terroristes
Proche de l’URSS durant la Guerre froide, l’Algérie a conservé des liens militaires forts avec la Russie, son principal fournisseur d’armes : 70 % de son arsenal, dont des avions de combat Su-30, des systèmes S-400 et les potentiels Soukhoï Su-57, sont russes. Des milliers d’officiers algériens ont été formés en URSS puis en Russie, avec des modernisations successives de l’armée. Mais depuis la chute de l’URSS en 1991, l’Algérie a diversifié ses partenaires.
Au début des années 2000, elle a renforcé la coopération antiterroriste avec les États-Unis à travers le programme IMET (International Military Education and Training) et a rejoint l’AFRICOM en 2007 et le Dialogue méditerranéen de l’OTAN en 2000, sans participer à des programmes militaires russes formels. Des entraînements croisés incluent aussi l’Égypte, la Syrie et la Chine pour l’aviation et l’armement, et la France offre un appui linguistique et technique malgré des relations tendues. Cette diversification les confronte à des doctrines occidentales, renforçant l’interopérabilité et une vision multipolaire de la défense.
Sur le plan économique, les États-Unis devancent la France en tant que premier investisseur étranger en Algérie. En effet, selon les données du FMI, les États-Unis détiennent la plus grande part des IDE en Algérie, avec 29% avec plus de 100 entreprises américaines opérant en Algérie dans divers secteurs, notamment l’énergie, la technologie, les télécommunications, la défense et l’agriculture.
L’attention se porte sur les hydrocarbures, où Sonatrach – la compagnie nationale d’hydrocarbures, qui détient 80 % de la production gazière et pétrolière algérienne – a signé des accords avec des majors tels que Chevron et ExxonMobil. En janvier 2025, Chevron a signé un accord de 24 mois pour explorer l’offshore ; en mai 2024, ExxonMobil a signé un mémorandum pour exploiter les bassins d’Ahnet et de Gourara, riches en gaz de schiste.
Ces accords s’inscrivent dans un forum énergie Algérie-États-Unis en avril 2025, où Sonatrach a réitéré des incitations fiscales pour attirer des investissements, dans le but d’augmenter les exportations vers l’Europe afin de profiter de la sortie progressive sur le gaz russe.
Les relations algéro-russes se refroidissent, notamment au Sahel et en Libye Au Sahel, l’Algérie soutient les Touaregs et des rebelles contre le Mali, la Russie soutient Bamako avec des mercenaires (ex-Wagner, Africa Corps) et des bases opérationnelles, ce qui attise les tensions frontalières.
En Libye, Moscou appuie l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar à l’est, rivale du Gouvernement d’unité nationale (GUN) reconnu par l’ONU et soutenu par Alger ; en juin 2025, l’ANL a déployé des forces à la frontière algérienne pour protéger des routes commerciales contre des groupes que Haftar accuse d’être soutenus par Alger. Le président Tebboune a réaffirmé en 2020 une ouverture à des interventions militaires hors frontières par une révision constitutionnelle.
Sur ces dossiers, Alger et Washington s’entendent contre Moscou, un alignement tactique américain. La Chine, elle, élargit les choix militaires algériens : en 2023, Pékin a livré des missiles anti-navires YJ-12B et des chars VT-4 ; en avril 2025, dix accords ont renforcé la coopération en défense, avec des exercices conjoints et des transferts de technologie, faisant de la Chine un hedge contre la dépendance russe sans couper les ponts historiques.
La Russie, enclavée par une façade maritime étroite, a sollicité en 2020 une base navale en Algérie pour projeter sa force en Méditerranée, demande rejetée par Alger, par soucis de souveraineté – le Maroc n’accueille pas non plus de base étrangère – et dans un contexte de rapprochement avec Washington. Ce refus a renforcé le pivot russe vers Haftar en Libye, à la recherche d’un soutien alternatif ; en 2025, la perte de Tartous en Syrie a encore diminué la présence navale russe en Méditerranée. La candidature algérienne aux BRICS en 2023 a été refusée ; malgré la mainmise sino-russe sur le groupe, l’exclusion – au profit de pays comme l’Égypte ou l’Éthiopie – a exacerbé les frustrations d’Alger, qui a clos le dossier en septembre 2024 tout en intégrant la Banque de développement des BRICS. Cela met en évidence les limites d’une adhésion considérée comme symbolique, orientant Alger vers une multipolarité plus pragmatique et s’émancipant de son axe de prédilection.
Au Sahel et en Libye, une compétition d’influence USA-Russie se joue, avec un avantage croissant pour Washington : pactes militaires en janvier 2025, investissements énergétiques, alignements sécuritaires. Pour renforcer cela, les États-Unis considèrent une détente maroco-algérienne comme nécessaire pour stabiliser le flanc sud de l’OTAN et intégrer un bloc maghrébin dans leur orbite.
Le 20 octobre 2025, l’Envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, a déclaré sur CBS que son équipe espérait un accord de paix dans les 60 jours. Le 1er novembre 2025, au lendemain de la résolution 2797 du Conseil de sécurité de l’ONU – qui qualifie le plan d’autonomie marocain de 2007 de base sérieuse pour toute solution politique au conflit autour Sahara marocain, avec 11 voix pour et 3 abstentions (Chine, Pakistan, Russie) – le ministre marocain Nasser Bourita a affirmé que Rabat et Alger n’avaient pas besoin de médiation extérieure en raison de leur proximité géographique et historique, insistant sur un dialogue direct subordonné à une volonté politique bilatérale.
Le Maroc a pris les devants en proposant son « Initiative atlantique » lancée en novembre 2023 pour désenclaver les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) par ses ports atlantiques afin de stimuler le commerce et l’intégration régionale. C’est dans ce contexte qu’en avril 2025, le Roi Mohammed VI a reçu les ministres des Affaires étrangères de l’AES (Mali, Burkina Faso, Niger) qui ont réitéré leur soutien, intégrant l’initiative à leur confédération créée en juillet 2024 après leur sortie de la CEDEAO.
Cette progression, portée par une coopération Sud-Sud, contraste avec les pertes économiques et sécuritaires de l’Algérie à cause de son jeu trouble dans les tensions régionales (milliards de dollars d’IDE perdus et décennies de déstabilisation) et a mis en évidence l’isolement marquant d’Alger sur la scène internationale.
Cette nouvelle donne va-t-elle sortir le régime algérien de son obsession irrationnelle envers le Maroc et le convaincre d’accepter la main tendue de Rabat pour construire ce grand Maghreb stable et prospère ?

Excellente analyse ma foi, toutes les subtilités géopolitiques sont maitrisées, un petit bémol vous auriez pu mentionner la Chine
Analyse d’un marocain. On ne peut pas écrire Sahara marocain dès le début de l’article sans être un marocain. Le Sahara Occidental ne vous appartient pas.
omar bendouro vous avez 1000 fois raison, je n’avais jamais vu les choses de cette manière et je vous fait parvenir tous mes souhaits les plus sincères