Ni « laxiste », ni « ultra-répressif », le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti défend une justice proche des citoyens, dessinant quelques priorités, de la lutte contre les violences conjugales à la fermeté face au terrorisme, des réformes du parquet et de la justice des mineurs, dans un entretien au JDD.
En 600 jours, il ne pourra pas tout faire, alors il ira « à l’instinct », avec « des idées » et la conscience d’un homme qui « doit tout à la République »: « Comme avocat, j’ai toujours défendu des hommes, pas des causes. Cette fois encore, j’y suis allé pour l’homme », dit-il pour expliquer pourquoi il a troqué à 59 ans la robe d’avocat pour la cravate du ministre.
Son arrivée place Vendôme a suscité autant de surprise que d’inquiétude voire de défiance au sein de la magistrature et parmi les associations féministes, échaudées par ses critiques du mouvement #MeToo.
D’emblée il démine: « Je veux que les hommes suspectés de violences conjugales, s’ils ne sont pas déférés, soient convoqués par le procureur et reçoivent un avertissement judiciaire solennel ».
« On m’a déjà dit que ça pourrait heurter la présomption d’innocence : j’ai montré les dents… Il ne s’agit pas d’une condamnation; c’est le moyen de montrer à un homme que la justice est attentive et qu’elle ne laisse rien passer », assène-t-il.
« J’entends déjà que certains me caricaturent en laxiste qui veut vider les prisons, d’autres en ultra-répressif qui veut les remplir. Je ne serai ni l’un ni l’autre », répète-t-il.
L’ancien ogre du barreau connaît l’immense « besoin de moyens » des tribunaux et affirme avoir obtenu des assurances pour le budget 2021 qui « va accroître le rythme des créations de postes pour la Justice ».
Sur le terrorisme, alors que le Sénat va bientôt examiner un texte controversé prévoyant des « mesures de sûreté » pour les condamnés à l’issue de leur peine, il confesse que sa « réflexion a évolué ».
« J’ai toujours été opposé à la rétention de sûreté telle que l’envisageait le président Sarkozy, parce qu’elle envoyait en prison des individus non pour ce qu’ils avaient fait mais pour ce qu’ils seraient susceptibles de faire dans l’avenir », dit-il.
Mais il se dit « totalement favorable » à l’imposition du port du bracelet électronique « pour des gens qui ont été condamnés pour des faits de terrorisme », des personnes qui « de toute façon » seraient « surveillées par nos services de renseignement ».
S’il est toujours en faveur du rapatriement des femmes et des enfants retenus en Syrie, il se retranche derrière sa loyauté à un gouvernement qui « défend l’idée que ces prisonniers doivent être jugés là où ils ont commis leurs actes et qui examine au cas par cas la situation des mineurs pour leur rapatriement ».
Les réformes qui lui tiennent à coeur et qu’il s’engage à mener restent celles du parquet – il veut voir les procureurs nommés, comme les juges, sur « avis conforme » du Conseil supérieur de la magistrature (CSM): « je veux graver cette règle dans le marbre de la Constitution » – et de la justice des mineurs qu’il veut « plus rapide et plus efficace ».
Sans promettre de révolution, il rappelle que « la justice est au service du justiciable, non l’inverse » et propose que parfois, le juge se déplace « plutôt que le justiciable ».
« Droit-de-l’hommiste » assumé, il entend aussi améliorer le quotidien des détenus « qui doivent sortir (de prison) moins mauvais qu’ils n’y sont entrés » et propose de généraliser l’existence de « délégués qui, parmi les prisonniers, signalent les difficultés, les carences ».
Comme ministre, il s’interdira « toute intervention » dans des affaires particulières mais défend le principe de remontées d’informations.
Il s’est par ailleurs engagé à « rendre publiques » les conclusions de l’Inspection générale de la Justice, saisie concernant une enquête liée à l’ancien président Nicolas Sarkozy, ayant visé des avocats et magistrats – dans laquelle les fadettes de plusieurs avocats dont celles d’Eric Dupond-Moretti ont été scrutées.