Ni défilés, ni rassemblements: la planète confinée vit un 1er-Mai inédit en raison de la pandémie de coronavirus, qui a fait 230.000 morts et accable l’économie mondiale, tout en alimentant la querelle entre le président américain Donald Trump et Pékin.
Jour férié dans de nombreux pays, la fête du Travail se déroule sans les traditionnels cortèges des syndicats, obligeant ceux-ci à rivaliser d’imagination pour entretenir la mobilisation, sur les balcons ou sur les réseaux sociaux.
Comme en Indonésie, où la principale confédération a déployé des banderoles dans 200 villes et lancé une campagne numérique invitant à « manifester depuis la maison ».
Principale revendication: que le versement des salaires soit garanti, alors que comme partout dans le monde la pandémie a contraint d’innombrables entreprises à réduire ou à suspendre leur activité.
Aux Philippines, quelque 23 millions de personnes, soit près du quart de la population, sont menacées de famine en vertu de la règle « pas de travail, pas de salaire », s’alarme le responsable syndical Jerome Adonis.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), pas moins de 1,6 milliard de personnes risquent de perdre leurs moyens de subsistance en raison du confinement et de la récession historique que cette mesure provoque.
Taxes punitives
La litanie des mauvais chiffres économiques s’est poursuivie vendredi: l’Espagne, un des pays les plus touchés d’Europe, a annoncé tabler sur un recul de 9,2 % de son économie cette année. L’activité a chuté de 3,8 % dans la zone euro au premier trimestre et de 4,8 % en rythme annuel aux Etats-Unis. Et le deuxième trimestre s’annonce encore pire.
Dans ce contexte, Donald Trump a dit jeudi envisager de nouvelles taxes punitives contre Pékin après avoir acquis la certitude que le nouveau coronavirus provenait d’un laboratoire hautement sensible de Wuhan, la ville chinoise d’où est partie la pandémie fin 2019.
« C’est quelque chose qui aurait pu être contenu à l’endroit d’origine et je pense que ça aurait pu être contenu très facilement », a estimé le locataire de la Maison blanche.
Régulièrement mise en cause par le président américain pour sa gestion de la pandémie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a finalement annoncé vendredi vouloir enquêter sur les origines du virus, et demandé à la Chine de l' »inviter » à cette fin.
Pays le plus frappé avec quelque 2.000 morts par jour et plus de 63.000 au total, les Etats-Unis totalisent plus de 30 millions de demandes d’allocation chômage depuis la mi-mars, un record historique. Boeing, frappé de plein fouet par l’arrêt des vols, a annoncé un emprunt obligataire de 25 milliards de dollars.
Dans plusieurs pays africains, les transferts financier des travailleurs émigrés en Europe se sont presque taris. « Mon frère travaille dans des plantations à Saragosse (nord de l’Espagne). La dernière fois qu’il nous a envoyé de l’argent, c’était en février », témoigne Tidiane Konté à Dakar.
Milliardaires 10 % plus riches
Le confinement n’affecte pas riches et pauvres de la même façon: entre le 18 mars et le 10 avril, la fortune des milliardaires américains a augmenté de près de 10 %, soit de 282 milliards de dollars, surtout grâce au rebond boursier des entreprises technologiques, comme Amazon, selon une étude américaine.
En Europe, continent le plus endeuillé avec plus de 137.000 décès, la Banque centrale européenne (BCE), s’est dite « prête » jeudi à renforcer son arsenal de soutien à l’économie, alors que le 27 sont toujours divisés sur un plan de relance commun.
En Grande-Bretagne, deuxième pays d’Europe le plus touché après l’Italie avec 26.711 décès, le pic de la pandémie a été atteint, selon le Premier ministre Boris Johnson, qui a promis un plan de déconfinement la semaine prochaine, à l’instar d’autres pays de l’UE.
Forte de son succès dans la lutte contre la pandémie, l’Allemagne a adopté de nouvelles mesures de déconfinement, avec la réouverture des lieux de culte, des musées et des zoos. Mais cafés et restaurants resteront fermés au moins jusqu’au 6 mai, et la chancelière Angela Merkel a exclu à ce stade une ouverture des frontières face au risque d’une deuxième vague.
C’est cette même menace qui a incité les autorités italiennes à ne pas décider de rouvrir les écoles, à la différence de la France et d’autres pays européens.
Les « invisibles de nos sociétés »
En Amérique latine, plusieurs pays envisagent eux aussi de lever certaines restrictions. Mais « un assouplissement immédiat des mesures pourrait être désastreux », met en garde Marcos Espinal, directeur du département des maladies contagieuses à l’Organisation panaméricaine de la santé.
En attendant, à Cuba, sportifs et musiciens s’exercent sur les toits de leurs immeubles. Comme William Roblejo, un violoniste de 35 ans. « Je suis très heureux, j’ai été enfermé pendant 20 ou 25 jours », raconte-t-il à La Havane.
Au Brésil, le confinement a été prolongé à Rio de Janeiro jusqu’au 11 mai, une décision prise à l’encontre des positions du président Jair Bolsonaro, qui défend coûte que coûte la reprise de l’activité économique.
L’état d’urgence sanitaire devrait également été prolongé au Japon au-delà du 6 mai, a laissé entendre le Premier ministre Shinzo Abe.
En France, où la tradition du 1er-Mai est particulièrement vivace, des syndicats ont voulu dédier la journée aux « invisibles de nos sociétés », soignants ou caissières, qui « continuent à travailler le plus souvent au risque de leur vie ».
A Istanbul, la police turque a arrêté vendredi plusieurs responsables syndicaux qui défilaient pour marquer la fête du Travail en dépit de l’interdiction de sortir.
Et c’est un autre 1er-mai que redoutent les autorités allemandes: celui d’une convergence dans la rue de l’ultragauche, de l’extrême droite et des conspirationnistes pour dénoncer le confinement.
« Le 1er-Mai ne doit pas devenir l’Ischgl de Berlin », la station de ski autrichienne devenue un foyer d’infection pour l’Allemagne, met en garde l’adjoint à la sécurité du maire de Berlin, Andreas Geisel.