Les sept moines de Tibéhirine reconnus martyrs 22 ans après leur assassinat
Les moines de Tibéhirine, assassinés en Algérie en 1996, ont été déclarés martyrs samedi par le pape François, une reconnaissance qui ouvre la voie à la béatification de ces sept religieux dont la mort reste entourée de zones d’ombre.
Les frères Christian, Bruno, Christophe, Célestin, Luc, Paul et Michel, âgés de 45 à 82 ans, avaient été enlevés en mars 1996 dans leur monastère de Notre-Dame de l’Atlas, à 80 km au sud d’Alger. Leur mort avait été annoncée le 23 mai dans un communiqué par le Groupe islamique armé (GIA).
"Ce sont des martyrs de l’amour", a commenté le porte-parole de la Conférence des Évêques de France (CEF), Mgr Olivier Ribadeau Dumas.
"C’est parce qu’ils ont aimé jusqu’au bout, comme le Christ a aimé jusqu’au bout, qu’ils ont donné leurs vies pour leurs amis algériens. Pour nous, c’est le signe que l’amour n’est pas vain et qu’il triomphera", a expliqué l’ecclésiastique pour qui "c’est ce message-là que le Pape a voulu faire passer".
Le Vatican précise dans son décret qu’il a reconnu le martyre de Pierre Claverie, membre de l’Ordre des frères prêcheurs, et de 18 religieux et religieuses, "tués par haine de la foi, en Algérie de 1994 à 1996".
Le 1er août 1996, Mgr Claverie avait été assassiné par un groupe armé, qui avait pris pour cible ce fervent défenseur du rapprochement islamo-chrétien et algéro-français.
"Rendre hommage aux 19 martyrs chrétiens signifie rendre hommage à la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie en Algérie dans les années 90", avait récemment commenté le moine trappiste Thomas Georgeon, postulateur (avocat) de la cause, dans un entretien avec le mensuel "Mondo e missione", de l’Institut pontifical des missions étrangères.
"Les évêques algériens souhaitent que la béatification puisse être célébrée en Algérie, à Oran, diocèse de Mgr Claverie", déclare le moine français, qui avait été reçu en septembre par la pape au Vatican en compagnie de l’archevêque d’Alger et de l’évêque d’Oran.
Parsemée de zone d’ombres, la thèse officielle de la mort des sept moines de Tibéhirine avait été rapidement remise en question après les faits. L’affaire a connu en 20 ans de multiples rebondissements et autres aléas diplomatiques.
Un premier doute
Un premier doute était apparu lorsque le procureur général (à l’époque) de l’ordre des cisterciens trappistes, le père Armand Veilleux, arrivé en Algérie fin mai 1996 pour les hommages, avait demandé à reconnaître les corps. Dans les cercueils, qui avait déjà été plombés, il n’avait découvert que les têtes des moines, un secret caché aux familles.
Il faudra toutefois attendre 2004 pour qu’une enquête judiciaire soit ouverte en France, après la plainte d’une famille.
Les juges français avaient demandé en 2012 à se rendre en Algérie pour exhumer les crânes des moines. Après des reports, la visite avait finalement eu lieu en 2014, mais faute de pouvoir ramener les prélèvements, les experts français avaient dû se contenter de leurs constatations sur place.
Prudentes, leurs conclusions de juin 2015 contredisent les conditions de la mort décrites dans la revendication du GIA. Ainsi, l’"hypothèse d’un décès entre le 25 et le 27 avril 1996", soit plus de trois semaines avant la date annoncée dans la revendication, leur paraît "vraisemblable". Des traces d’égorgement n’apparaissent que pour trois religieux mais tous présentent des signes de décapitation après la mort, ce qui accrédite la thèse d’une mise en scène.
C’est à la suite d’un long bras de fer avec Alger que la justice française était finalement parvenue, en 2016, à rapporter en France des échantillons de crânes dans l’espoir de tirer des conclusions sur les circonstances et la date précises de la mort des moines.
Le destin tragique de ces sept religieux avait inspiré le film du Français Xavier Beauvois, "Des hommes et des dieux" (2010). Grand Prix du Festival de Cannes, il a connu un succès international.
Il existe deux formes de procès en béatification : le martyre ou l’héroïcité des vertus. Dans le cas de l’héroïcité des vertus, il faut prouver l’existence d’au moins un miracle, examiné par un collège d’experts.
Le miracle n’est, en revanche, pas exigé lorsqu’il s’agit d’un martyr, ce qui est le cas des moines de Tibéhirine.
Par la béatification, le pape décide que l’on peut rendre un culte public à une personne – un laïque ou un religieux – qui est alors désigné par l’église comme "Bienheureux". (afp)