Fruit d’une large consultation des forces vives pilotée par une Commission indépendante, cette nouvelle Constitution s’inspire d’une synthèse moderne et audacieuse des différents courants de la société marocaine. Texte suprême de la Nation, elle appartiendra à l’ensemble des Marocains, ruraux et urbains, jeunes et anciens, quelles que soient leurs opinions, des islamistes aux féministes. Dans quelques jours, d’ailleurs, ce peuple tout entier s’exprimera librement et souverainement pour décider s’il marque ce texte du sceau de la légitimité politique. Ce simple processus participatif marque une étape décisive dans l’avènement d’une monarchie constitutionnelle, démocratique et parlementaire.
Le préambule du texte constitutionnel précise d’emblée qu’il résulte d’un choix « irréversible » d’un régime démocratique avancé. Loin d’être une simple déclaration d’intention, ce choix est gravé dans le marbre par l’article 175, qui interdit toute révision de nature à porter atteinte aux acquis en matière de démocratie, de libertés et de droits fondamentaux. Clairement affirmés et précisés dans le texte constitutionnel, ces droits et libertés honorent le Maroc et le distinguent dans son environnement régional : il s’agit d’acquis libéraux (prohibition de la torture, droit à la vie, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté de culte…) et sociaux (égalité homme/femme, accès aux soins, à l’éducation, à un travail, un logement décent,Sur le terrain politique, dans une démarche unique au monde, de nouveaux droits, substantiels, sont accordés à l’opposition, pour garantir durablement le pluralisme.
Nul ne peut nier que la démocratie est plus qu’un processus : c’est une culture qui nécessite du temps, de la pédagogie et de la cohésion nationale. Pour y parvenir, la nouvelle charte constitutionnelle a mis l’accent sur le respect de la diversité culturelle arabo-berbère en officialisant, fort et bien, la langue amazigh. Cette constitutionnalisation est en fait un renouvellement du pacte linguistique et une reconnaissance des origines multiculturelles du pays. Concernant les institutions, le Maroc renforce et approfondit la séparation et l’équilibre des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
.Le Roi reste garant de l’unité nationale, de la sécurité et de l’intégrité du territoire. Ses prérogatives sont clairement délimitées par la distinction entre ce qui relève de son pouvoir religieux d’une part et ce qui accompagne ses fonctions d’arbitre suprême d’autre part. Commandeur des Croyants, il continuera d’organiser, de contrôler et de réguler le champ religieux ; c’est un gage de stabilité face à la montée des extrémismes. Chef de l’Etat, il veillera au bon fonctionnement des institutions et au respect des acquis démocratiques. Pour cela, il dispose notamment du droit de dissolution, pouvoir qu’il partage avec le Président du Gouvernement. La distinction entre ces deux fonctions – religieuse et politique -, est perçue par certains comme un premier pas vers la sécularisation de l’Etat marocain ; la référence à la « sacralité » du Roi a d’ailleurs été supprimée.
.Le Parlement est recomposé en deux chambres : l’une à vocation générale, l’autre plus spécialisée sur les questions locales, sociales et constitutionnelles. Il voit ses pouvoirs renforcés et ses compétences élargies. Il sera désormais plus simple, pour lui, de contrôler le Gouvernement, voire de le renverser par motion de censure. Quant au domaine de la loi, il a été étendu à plus d’une cinquantaine de sujets, touchant à l’exercice des droits et libertés et aux différentes sphères de la vie civile, économique et sociale. Il est remarquable de noter qu’en plus d’un droit de pétition, les citoyens bénéficieront d’un droit d’initiative législative leur permettant d’émettre des propositions de loi.
· . Le Président du Gouvernement, tête de l’exécutif gouvernemental, voit ses compétences élargies. Forcément issu du parti arrivé en tête des élections, il disposera du pouvoir réglementaire et présidera un Conseil dont l’existence, pour l’heure informelle, a été constitutionnalisée. Il révoquera les ministres, nommera les hauts fonctionnaires et les dirigeants des entreprises publiques. Il pourra dissoudre le Parlement.
· .Quant au pouvoir judiciaire, il sera désormais placé sous l’autorité d’un Conseil bénéficiant d’une autonomie administrative et financière. Son Président délégué sera le Président de la Cour de Cassation à la place du ministre de la justice. De fortes garanties seront confiées aux magistrats pour agir en toute indépendance.
Ce rééquilibrage des pouvoirs s’accompagne de nouvelle règles de gouvernance visant à responsabiliser les acteurs publics et à moraliser leurs pratiques. Responsabiliser les acteurs publics grâce à une régionalisation avancée, dont l’ambition est comparable à celle des grandes lois françaises de 1982. Moraliser leurs pratiques par une série de dispositions pour garantir la transparence, encadrer l’immunité parlementaire, interdire la migration des élus entre groupes ou partis en cours de mandat,…
Enfin, en matière de contrôle, le caractère audacieux et innovant de la nouvelle Constitution n’échappera à personne : une Cour Constitutionnelle, dont la moitié des membres seront élus par les parlementaires, pourra désormais être saisie par le justiciable qui contesterait la conformité d’une loi au texte suprême. Il s’agit d’une disposition de première importance pour permettre l’appropriation de ce texte par les citoyens.
Si les Marocains votent « oui » le 1er juillet prochain, il faudra encore, dans la pratique de ces nouvelles institutions, relever de nombreux défis. La route vers une démocratie mature, pleine et effective, est toujours longue ; les conditions sociales et culturelles de sa mise en œuvre restent parfois difficiles à remplir pour un pays émergent. Mais l’important, pour l’heure, est le nouvel esprit de ce texte novateur. C’est le volontarisme qu’il traduit. La dynamique réformatrice ancienne à laquelle il se rattache.
Avec cette réforme, en effet, le Maroc s’inscrit dans une évolution ancienne vers l’ouverture et la modernité inhérente à l’histoire de sa monarchie : un ordre politique cohérent mais complexe, parfois fragile, qui a maintes fois été miné de l’intérieur, assiégé de l’extérieur et parfois dénigré mais qui, pourtant, a toujours réussi à s’inscrire dans une démarche réformiste. Il a tiré son inspiration de son propre sol, des fondateurs de sa propre couronne. Il a édifié ses propres institutions et s’est nourri d’une diversité de religions, de langues et de cultures régionales que des sceptiques considéreraient comme incompatible avec une démocratie en état de fonctionner. Depuis, le Maroc n’a cessé de surprendre les observateurs et, avec son projet de Constitution, il a certainement gagné ses galons de grand précurseur de la démocratie arabe. Après le « Partenariat avancé » accordé par l’Union européenne au Maroc, l’octroi d’un statut de « Partenaire pour la démocratie » par le Conseil de l’Europe est là pour en attester.