Aquoi va ressembler Al-Qaeda maintenant qu’Oussama ben Laden est mort ? A Al-Qaeda de son vivant, est-on tenté de répondre, tant le fondateur de l’organisation terroriste internationale était devenu un modèle plus qu’un chef opérationnel ou même idéologique depuis sa plongée dans la clandestinité totale, à partir de décembre 2001, lorsqu’il fila entre les doigts de l’armée américaine et de ses alliés afghans, à Tora Bora. Depuis bientôt une décennie, tous les spécialistes s’accordent à dire qu’il ne jouait plus aucun rôle dans les opérations menées au nom d’Al-Qaeda de par le monde. Il avait même cédé la communication et le soin d’énoncer la ligne idéologique à Ayman al-Zawahiri (lire ci-contre), son bras droit et éminence grise tout à la fois. Le simple fait de préserver sa vie était, de 2001 à ce dimanche 1er mai, un objectif en soi et une victoire au quotidien contre l’impressionnante machine de guerre américaine.
Depuis le 11 Septembre, la plupart des grands attentats similaires, qu’il s’agisse de Bali (2002, 202 morts), Casablanca (2003, 45 morts), Madrid (2004, 191 morts), Londres (2005, 56 morts) ou Charm el-Cheikh (2005, 68 morts), ont été conçus et réalisés par des groupes locaux et autonomes, dont seul un membre était allé «parfaire» sa formation idéologique et militaire dans les zones tribales pakistanaises. Pas besoin, pour cela, de l’imprimatur du chef spirituel qu’est devenu Oussama ben Laden, plus inspirateur qu’instigateur. Pour autant, il serait faux de croire que sa mort soit sans conséquences. Il faudra plusieurs mois, voire années, pour en mesurer les effets. Mais il ne fait pas de doute que sa disparition va affaiblir encore un peu plus une organisation prise de court et ringardisée par les révolutions arabes de ces derniers mois, qu’elle n’avait pas vu venir et sur lesquelles elle n’a rien à dire. Il est frappant de voir à quel point Al-Qaeda a donné l’impression d’être gênée par un mouvement de la jeunesse réclamant plus de liberté, mais pas plus d’islam ni moins d’Occident. Ayman al-Zawahiri, d’ordinaire prompt à commenter l’actualité, s’en est tenu à un bref appel à chasser «le pharaon Moubarak» et à «combattre l’Otan» en Libye. Théoriquement, il est appelé à prendre la tête d’Al-Qaeda, mais il n’en a ni l’aura, ni la stature. Surtout, l’on risque d’assister à une fragmentation du mouvement jihadiste mondial, Ben Laden n’ayant jamais réussi à proposer un modèle de gouvernement – et non pas seulement de guerre – ni à élargir son organisation, très marquée par son tropisme arabe.
Al-Qaeda centrale
Tant que Ben Laden était vivant, son incontestable aura maintenait la cohésion d’une organisation très affaiblie par les attaques de drones américaines dans les zones tribales. Cette campagne d’assassinats ciblés, qui a débuté à l’été 2008, n’a cessé, depuis, de s’intensifier, décapitant l’organisation et semant la suspicion jusque dans les rangs d’Al-Qaeda.
En outre, les dissensions et rivalités entre Egyptiens (dont Khaled al-Habib, le commandant militaire ; Seif al-Adel, Moustafa Hamid et Medhat Morsi, les instructeurs), Libyens (Abou Yehia al-Libi, la figure montante du moment et chef du front afghan ; Atiyah Abdel Rahman, l’artificier), Yéménites ou Saoudiens (Adnan al-Shukrijumaah, chef des opérations extérieures) dans l’encadrement d’Al-Qaeda risquent de ressurgir avec plus de force.
Le Mouvement des talibans pakistanais
Fondé par Baitullah Mehsud et aujourd’hui dirigé par Hakimullah Mehsud, le Tehrik-e-Taliban Pakistan est l’organisation la plus proche et la plus imprégnée de l’idéologie qaediste. En raison de son implantation au Pakistan, les liens sont nombreux et profonds avec Al-Qaeda. Mais les jihadistes pakistanais, même s’ils ont tenté de commettre un attentat à Times Square, à New York, en décembre, sont avant tout préoccupés par leur combat contre Islamabad. De plus, leur origine asiatique les disqualifie pour diriger Al-Qaeda centrale.
Al-Qaeda dans la péninsule arabique
Aqpa est le résultat de la fusion entre les branches yéménite et saoudienne d’Al-Qaeda. Un regroupement motivé par l’affaiblissement de l’organisation saoudienne, durement frappée par la répression dans le royaume. Le Yémen est l’un des seuls pays où Al-Qaeda est en pleine expansion, mais son implantation est très liée au complexe équilibre des pouvoirs tribaux locaux. Le prêcheur vedette Anouar al-Awlaqi pourrait prétendre à un leadership mondial…
L’Etat islamique en Irak
Cette organisation est la résurgence d’Al-Qaeda en Mésopotamie, qui avait périclité après la mort du Jordanien Abou Moussab al-Zarkaoui, tué en Irak dans un raid américain en 2006. Tout comme Zarkaoui s’était illustré par son obsession antichiite, l’Etat islamique en Irak cherche à ranimer les braises d’une guerre civile interconfessionnelle en ciblant chiites et chrétiens, notamment avec l’attaque de la cathédrale syriaque de Bagdad cet automne. Du temps de Zarkaoui, cette stratégie avait déjà provoqué de virulents débats au sein d’Al-Qaeda, certains jugeant que l’assassinat en masse de chiites, musulmans eux aussi, avait aliéné une majorité de la population irakienne. Et même une bonne partie du public sunnite, puisque ce sont les milices du Réveil (Sahwa), financées et armées par les Etats-Unis, qui ont porté les coups les plus durs à Al-Qaeda en Irak.
Al-Qaeda au Maghreb islamique
Pour Aqmi, la disparition de la figure tutélaire risque d’attiser la lutte pour la prééminence entre le chef spirituel, Abdelmalek Droukdel, et les deux principaux chefs de katiba (brigades), Abdelhamid Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar. Ben Laden était, pour cette organisation considérée comme marginale par Al-Qaeda centrale, un facteur unificateur. Il s’est d’ailleurs mêlé de la négociation sur les otages d’Areva en demandant dans un message le départ des soldats français d’Afghanistan et l’abrogation de la loi sur la burqa. Sa disparition pourrait relancer la négociation sur des bases purement financières et crapuleuses.
Les Shebaab
Malgré leur allégeance à Ben Laden, les jihadistes somaliens se sont toujours montrés avant tout préoccupés par la situation locale. Traversés par les divisions claniques propres à leur société, ils ont un faible impact sur le jihad global.
Les francs-tireurs
Ces individus qui passent à l’action tous seuls, après s’être convertis à l’idéologie qaediste dans leur coin, sont les plus difficiles à repérer. Le phénomène survivra probablement encore des années à la disparition de son inspirateur.