Sarkozy au chevet d’une industrie plombée
Le Président annonce aujourd’hui une série de mesures issues des Etats généraux pour sauver un secteur en profond décli
La France, un pays sans usines ?
Sans verser dans le catastrophisme, il faut bien reconnaître que la situation de l’industrie française est follement inquiétante. Sur le tableau de bord des principaux indicateurs de performance, tous les clignotants sont au rouge. Et certains fichent la trouille. Ceux qui pensent encore qu’il suffit de traverser la Manche pour trouver pire que nous doivent accepter la sentence : le poids de l’industrie française dans notre PIB (entre 14% et 16% en 2008 selon les évaluations) est au mieux égal à celui du Royaume-Uni, voire franchement en dessous. Et la part de notre industrie dans l’économie est largement inférieure à la moyenne de la zone euro. Plus grave : notre désindustrialisation est allée beaucoup plus vite que chez nos partenaires européens. Tout est à l’avenant.
L’emploi industriel ? De 1980 à 2007, le secteur a perdu 36% de ses effectifs (soit presque 2 millions d’emplois). On peut certes se rassurer en remarquant qu’il n’y a pas d’accélération dans les destructions d’emplois sur la dernière décennie. Selon un rapport tout chaud du ministère de l’Economie sur la désindustrialisation, notre industrie a plutôt moins détruit de postes de travail sur la période 2000-2007 (-1,7%) qu’entre 1990 et 1995 (-2,4%). Maigre consolation. Car, s’il y a bien un sujet sur lequel la situation est franchement noire, c’est notre performance à l’exportation.
Non seulement l’économie française semble s’être installée dans une situation de déficit structurel depuis quelques années, mais, là encore, on fait moins bien que beaucoup de nos voisins européens. Notre part de marché à l’intérieur de la zone euro flanche (notamment au profit de l’Allemagne), comme celle dans le commerce mondial.
La faute aux délocalisations ?
Les raisons de ce pitoyable tableau sont connues et répétées depuis plusieurs années. Mauvaise spécialisation industrielle, trop peu de grosses PME capables d’exporter, déficit d’innovation et d’investissement… Jusqu’à peu,les économistes étaient formels : le phénomène de délocalisation était marginal. Inversement proportionnel à leur résonance médiatique, il expliquait entre 5 et 10% des emplois industriels détruits. Certainement pas plus.
Mais, alors que pour la première fois de son histoire, la balance commerciale de l’automobile française est devenue déficitaire (en clair les voitures achetées en France sont aujourd’hui majoritairement produites à l’étranger), n’aurait-on pas sous estimé l’importance de ces délocalisations ? C’est en tout cas l’avis de Jean-Louis Levet, le patron de l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales). «Ces premières évaluations avaient été réalisées alors que ce mouvement ne faisait que s’amorcer. Or, avec la crise, on a assisté à une vraie accélération.» Le même rapport indique qu’«entre 2000 et 2007, environ 63% des destructions d’emplois industriels s’expliqueraient par la concurrence étrangère, et 23% seraient imputables aux seuls pays émergents».
Le gouvernement Fillon aime, lui, insister sur le coût (et le temps) du travail en France, qui est un des plus élevés en Europe. Il y a dix ans, le coût horaire de l’ouvrier français était entre 10 et 20% moins cher que celui de son homologue allemand. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce qui affole beaucoup d’industriels et notamment ceux de la filière automobile.
Sarkozy peut-il sauver l’industrie française ?
En tout cas, il aimerait le croire. Même ses adversaires le reconnaissent, Sarkozy a eu le mérite, après Chirac, de remettre l’industrie au cœur de son discours économique. Et dans les actes ? Il faudrait avoir mauvaise grâce pour ne pas reconnaître que le gouvernement s’agite : création du fond stratégique d’investissement, crédit impôt recherche, lancement du grand emprunt, suppression de la taxe professionnelle… Tout cela fait-il une politique industrielle cohérente ? «Il n’y a pas de vraie vision stratégique, conteste Jean-Louis Levet. Par contre, on perd beaucoup de temps et d’énergie dans les mécanos administratifs.»
«Le souci, c’est qu’on ne sait pas ce qu’est une politique industrielle cohérente, répond l’économiste Alexandre Delaigue. Si on regarde le modèle allemand, on constate que beaucoup de ses caractéristiques relèvent plus de l’histoire ou de la culture et pas tellement des politiques publiques.» Que faut-il attendre de ces Etats généraux ? Manifestement pas grand-chose. «Ses conclusions sont très décevantes, assure Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes qui y a participé. On a en France un vrai problème de financement de notre industrie. On avait l’occasion de créer un nouvel outil, on ne l’a pas fait.»