Le scénario fait froid dans le dos. Il commence à courir les rédactions avec une fébrilité inquiétante. Les socialistes auraient gonflé les chiffres de participation de la primaire de la gauche, durant la nuit des résultats du premier tour.
En l’absence de résultats définitifs et détaillés 24 heures après la cloture du scrutin, l’hypothèse selon laquelle les organisateurs de l’élection auraient aidé leur système de calcul des résultats à atteindre le chiffre de 1,6 million de votants affolent les experts.
Que redoutent les statisticiens ? Une grossière manipulation.
Un simple "bug" ?
Face à la piètre participation qu’ils découvrent aux alentours de minuit – seulement 1.250.000 votants alors annoncés -, les stratèges socialistes auraient cessé de mettre à jour le site de la Haute autorité de la primaire jusqu’aux environs de 10 heures du matin, le lundi. Un simple "bug", selon Christophe Borgel, l’organisateur du scrutin.
Problème : les journalistes et les candidats n’ont rien su des résultats pendant près de 10 heures. Un grand trou noir, jamais vu dans l’histoire électorale, qui sème le trouble. Le matin, miracle : le système a pu cracher de nouveaux scores, plus présentables, environ 1,6 million de votants. Soit 350.000 votants supplémentaires. Venus de nulle part ?
"Quelque chose nous a mis la puce à l’oreille", raconte un sondeur. "Les scores des candidats, malgré ce bond en avant du nombre de votants, sont restés étrangement les mêmes, à la quatrième décimale près, ce qui est statistiquement impossible. Résultat : aucun candidat ne pouvait se plaindre puisqu’il n’était pas lésé par cette éventuelle tricherie." De nombreux journalistes se sont alors inquiétés de cette bizarrerie, en réclamant les détails des résultats, bureau de vote par bureau de vote.
La nuit des longs couteaux version électorale
Or, la direction du Parti socialiste et la Haute Autorité se sont refusées à ouvrir leurs livres de comptes, si l’on peut dire, ce que les spécialistes appellent les collations. Pourquoi cette opacité pour un parti qui revendique une éthique de la transparence ? A-t-on réellement truqué, non pas l’élection elle-même, mais le chiffre de participation ? "Plusieurs dirigeants socialistes ne cachaient pas, avant le premier tour, que pour exister face à la vague Macron, il était impératif de se rapprocher des 2 millions d’électeurs", confie un député peillonniste. "Essentiellement pour négocier des investitures aux législatives avec lui. C’est bien la survie du PS qui s’est joué cette nuit-là." La nuit des longs couteaux version électorale. Si cette thèse s’avère exacte, ce n’est pas une déroute qui attend le Parti socialiste, mais un cataclysme.
Si ce que semblent subodorer de nombreux statisticiens éclate au grand jour, nous allons assister à un hara-kiri politique d’une ampleur inédite. Un désastre qui entraînerait l’implosion d’une organisation minée par les divisions depuis trop longtemps. Cette suspicion est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur les deux derniers candidats au deuxième tour. Et si cette élection, malgré les proclamations victorieuses et la bonne vieille technique de la méthode Coué, avait déjà un goût de cendres ?
Le Big Bang qui devait révolutionner le Parti Socialiste, selon la formule de Michel Rocard, et qui n’est jamais venu, pourrait prendre des allures de déflagration atomique. Dans le camp d’Emmanuel Macron, on observe l’affaire des "voix invisibles" avec jubilation. Et l’on attend avec gourmandise les explications de Solférino…
Serge Raffy
L’Obs