Le divorce par consentement mutuel est simplifié
Ils ont longuement patienté dans un couloir surpeuplé du palais de justice avant d’entendre un juge énoncer en audience de cabinet la formule d’usage : « Je prononce le divorce avec effet à la date d’aujourd’hui. » « La magistrate nous a d’abord reçus l’un après l’autre pour que nous lui confirmions notre intention de divorcer, raconte Katia Taïeb. Elle nous a ensuite lu à haute voix la convention que nous avions rédigée ensemble, et elle a modifié un point de détail – une date. L’audience a duré à peine dix minutes. »
Au nom de la simplification des procédures, le gouvernement s’apprête à autoriser les couples qui le souhaitent à éviter cette étape : en cas de divorce par consentement mutuel, les époux ne seront plus tenus de comparaître personnellement devant le juge aux affaires familiales. Ils pourront, s’ils le souhaitent, se contenter de faire parvenir au magistrat la convention de divorce rédigée avec leur(s) avocat(s). Après vérification des consentements et examen du texte, le divorce sera signifié par un simple courrier.
Divorce express ? Le porte-parole de la chancellerie, Guillaume Didier, réfute cette expression. "Il ne s’agit ni d’un divorce au rabais ni d’un divorce éclair, explique-t-il. Nous essayons simplement d’alléger les procédures judiciaires qui concernent la vie quotidienne des Français. Si les deux époux sont d’accord et qu’ils ont réglé les détails de leur séparation, il n’y a aucune bonne raison de leur imposer une audience. Cette réforme permettra en outre au juge de se concentrer sur son véritable métier : trancher des litiges."
Pour éviter toute dérive, le projet de loi présenté en mars au conseil des ministres par la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, prévoit des garde-fous : l’audience sera de droit si l’un des époux le souhaite, et seuls les divorces par consentement mutuel n’impliquant aucun enfant mineur seront concernés. Si l’on se fonde sur les chiffres de 2007, 35 000 divorces par an, soit la moitié des procédures par consentement mutuel, pourront ainsi se conclure sans audience devant le juge aux affaires familiales.
Cette réforme n’est pas du goût de tous : le Conseil national des barreaux (CNB), un des organes de représentation des avocats, estime que l’intervention systématique du juge est le "seul garant des droits et libertés fondamentaux du citoyen". "Dans la réalité, un divorce par consentement mutuel, c’est tout sauf simple ! affirme Hélène Poivey-Leclerq, membre du CNB. L’audience permet au juge de vérifier que le consentement des époux est vraiment libre. Il y a des gens apeurés qui ne disent pas tout à leur avocat, notamment des femmes qui sont en situation d’infériorité."
La plupart des avocats reconnaissent cependant que l’audience de cabinet est une formalité dont certains couples se passeraient volontiers. "Cela dépend de la durée du mariage et de la personnalité des conjoints, précise Michèle Ziller, avocate dans le 19e arrondissement, à Paris. Pour un jeune couple qui n’a que quelques années de vie commune derrière lui, l’audience n’est pas forcément une étape utile. En revanche, un couple un peu âgé, qui est resté ensemble pendant des décennies, a souvent besoin d’un moment un peu cérémonieux pour se séparer."
Ce fut le cas pour Marie-Thérèse Hugot, une assistante maternelle de 57 ans qui a divorcé après trente ans de mariage. "Nous avons quatre enfants, qui sont tous majeurs, raconte-t-elle. Pour moi, l’audience a été un moment assez difficile, et ça m’a aidé que la magistrate soit là. On avait parlé à l’avocat, mais le juge, c’est une personne au-dessus. C’est une tranche de vie qui se termine, une page qui se tourne : dans ces moments-là, on n’a pas envie d’être seul."
La suppression de l’audience s’inscrit dans l’histoire tourmentée du divorce français. Brièvement autorisé pendant la Révolution française, supprimé par Napoléon Ier, le divorce par consentement mutuel a ensuite été interdit pendant près de deux siècles, au nom de la protection de la famille. Rétabli au lendemain de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, en 1975, il n’a cessé, depuis, de s’assouplir : en 2005, l’une des deux comparutions devant le juge a ainsi été supprimée afin de réduire les délais.
A la fin des années 1990, l’idée d’un divorce sans juge a même vu le jour : en 1998, le rapport de la sociologue du droit Irène Théry a ainsi proposé de créer un divorce "sur déclaration commune" qui aurait été reçu par un simple officier d’état civil ou un greffier en chef. Le gouvernement avait retenu cette idée : en 2007, il avait envisagé, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, de faire enregistrer le divorce par un notaire. Face au tollé suscité, notamment chez les avocats, il y avait finalement renoncé.