La Tunisie attend de connaître les tueurs de l’opposant Chokri Belaïd

Plus de deux semaines après l’assassinat de l’opposant anti-islamiste Chokri Belaïd, les autorités tunisiennes, malgré la pression de l’opinion publique, s’abstiennent d’annoncer tout détail de l’enquête sur ce drame qui a plongé le pays dans la tourmente.

La police observait toujours le mutisme jeudi sur le meurtre du chef du parti des Patriotes démocrates unifié (PDPU) abattu le 6 février devant son domicile tunisois de trois balles tirées à bout portant.

"L’enquête avance" répète depuis le ministère de l’Intérieur.

Le black-out a alimenté la rumeur et les spéculations vont bon train dans la presse et sur les réseaux sociaux. Certains désignent la piste salafiste, d’autres avancent une implication de services étrangers.

Ainsi, le journaliste Jamel Arfaoui assurait mercredi au micro de Shems FM que l’assassin avait été identifié. "Un ancien criminel en cavale devenu membre d’une cellule salafiste", a-t-il affirmé, citant "une source du ministère de l’Intérieur".

"Intox et informations erronées", a répondu un conseiller de ce ministère.

"Les enquêteurs sont partis sur de nombreuses pistes, ils ont beaucoup avancé mais l’investigation doit être protégée par le secret", a dit ce conseiller, Lotfi Hidouri à l’AFP.

Les compagnons de Chokri Belaïd, pourfendeur des islamistes, se préoccupent, eux, du fait que l’enquête policière se déroule sous les ordres du ministre de l’Intérieur, Ali Laarayedh, un dirigeant du parti islamiste Ennahda au pouvoir.

"Nous n’avons aucune confiance dans les ministères nahdaouis de l’Intérieur et de la Justice", a dit Zied Lakhdhar, un cadre du PDPU, estimant que le meurtre "n’est pas l’oeuvre d’individus mais d’un réseau disposant d’appui logistique".

Ennahda a été désigné du doigt et son chef, Rached Ghannouchi, traité "d’assassin" après le meurtre qui a choqué, provoqué des émeutes et exacerbé une crise politique culminant mardi avec la démission du chef de gouvernement l’islamiste Hamadi Jebali, deux ans après la révolution de 2011.

Au soir de l’assassinat, M. Jebali a surpris en décidant la formation d’un cabinet apolitique pour tenter de remettre le pays sur les rails, une initiative étouffée par son parti qui revendique la légitimité de gouverner.

Sur la défensive, Ennahda a démenti toute implication dans l’assassinat.

Et en recevant vendredi sept députés français conduits par la socialiste Elizabeth Guigou, le parti islamiste a demandé conseil sur la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire.

Avant sa démission, M. Jebali a prédit "des révélations graves", mais l’opposition, sceptique, attend la nomination de personnalités indépendantes aux ministères de l’Intérieur et de la Justice tenus par des islamistes.

"Nous sommes inquiets, j’ai le sentiment qu’on veut escamoter la vérité et épargner les vrais commanditaires", a déclaré à l’AFP Mohamed Jmour, numéro deux et avocat du PDPU.

"Le juge d’instruction a auditionné des témoins, sans révéler la moindre information ni sur l’état d’avancement de l’enquête judiciaire, ni sur les pistes explorées", a-t-il dit, s’étonnant de "fuites" dans les médias sur la filière salafiste.

"Je ne défends pas les salafistes mais de son vivant Chokri Belaïd ne s’en était jamais pris à eux, il les a même défendus devant la justice", a ajouté Me Jmour.

"Nous allons faire valoir notre droit de saisir la justice internationale", a-t-il averti, en disant que des avocats constitués en "comité de défense du martyr" y travaillaient déjà.

Opposants et ONG internationales ont aussi demandé une enquête indépendante.

"Une parodie d’enquête ne suffira pas", a averti Amnesty International, exhortant les autorités à faire toute la lumière sur cet assassinat sans précédent en Tunisie.

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