Saïf Al-Islam, qui personnifie la tendance libérale à l’oeuvre dans l’entourage du Guide, opposée à la vieille garde militaire menée par son frère Muatasim, s’est posé comme la dernière chance de faire évoluer le régime avant un renversement total. "Il est probablement trop tard pour qu’il puisse jouer ce rôle", analyse Luis Martinez, spécialiste de la Libye au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. Le duel entre Saïf Al-Islam, artisan des retrouvailles de la Libye avec l’Occident, depuis 2003, et partisan de l’ouverture du régime, et Muatasim, convaincu d’un possible statu quo fondé sur le patrimoine "révolutionnaire" de la "Grande Jamahiriya arabe et socialiste" et financé par la rente pétrolière, va désormais se jouer sur le terrain réel des luttes sociales et politiques. Leurs deux personnalités n’ont cessé d’alimenter la chronique des Kadhafi ces dernières années, même si les six autres enfants connus du Guide ont fait aussi parler d’eux, à leur manière.
Saïf Al-Islam L’ex-play-boy torrné vers l’Occident
Celui dont le nom signifie en arabe "Glaive de l’islam", apparaît comme aussi mesuré et cohérent que son père peut être violent et fantasque. A 38 ans, cet homme à l’élégance britannique, fils aîné de la seconde épouse de Mouammar Kadhafi, a joué un rôle-clé dans le règlement de tous les contentieux, notamment nés des attentats terroristes commandités par Tripoli, qui, depuis 2003, empêchaient la normalisation des relations entre la Libye, les Etats-Unis et l’Europe. L’homme d’affaires a mené une véritable diplomatie parallèle, où l’argent des hydrocarbures a servi à amadouer les Occidentaux. Sa politique d’ouverture a permis le retour en Libye des grandes compagnies pétrolières, l’américaine ExxonMobil, la britannique BP et l’italienne ENI.
Offrant un visage dynamique à un régime éprouvé par un isolement total, Saïf Al-Islam, patron de la Fondation Kadhafi au financement opaque, permettra notamment le règlement des attentats de Lockerbie (270 morts en 1988, en Ecosse) et du DC10 de la compagnie française UTA (170 morts en 1989, au-dessus du Niger). La Libye, par son entremise, paiera 3 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) aux familles, reconnaissant, non sa culpabilité, mais sa "responsabilité".
Dans l’affaire des infirmières bulgares accusées d’avoir transmis le virus du sida à des enfants libyens, Saïf Al-Islam a servi de relais pour l’indemnisation par les Européens, des familles touchées. La libération des cinq infirmières et du médecin bulgares, en juillet 2007, ouvrira la voie au voyage de Nicolas Sarkozy à Tripoli, puis à celui, en retour, de Mouammar Kadhafi à Paris, en décembre de la même année. L’achat de matériels militaires français dont des avions Rafale par la Libye, alors mis en avant par Saïf Al-Islam, ne s’est pas concrétisé jusqu’à présent.
Au fil de ces multiples "bons offices", le "Glaive" de Kadhafi a fait oublier l’image du fils à papa et du play-boy qui voyageait accompagné par ses deux panthères lorsqu’il était étudiant. Après des études d’architecture à Tripoli, Saïf Al-Islam, interdit de visa en France dans les années 1990, a poursuivi des études de gestion à Vienne (Autriche) où il s’était lié d’amitié avec le chef de la droite populiste Jörg Haider.
Récemment, Saïf Al-Islam avait dénoncé les atteintes aux droits de l’homme en Libye et plaidé pour l’instauration d’une Constitution. A la tête d’un groupe de médias turbulent, il a semblé un temps, en 2009, avoir été mis à l’index par son père au profit de son frère Muatasim. La démocratie ? "Ce n’est pas une question de vote, avait déclaré Saïf Al-Islam au Monde, en 2004. Nous devons trouver le moyen d’insérer le peuple dans les mécanismes de décision." Le voilà à pied d’oeuvre.
Muatasim Le putschiste fêtard
Agé de 35 ans, ce médecin de formation mais militaire de carrière, avait été promu par son père, en 2007, à la tête du très stratégique Conseil de sécurité nationale. Il avait d’abord connu la disgrâce, soupçonné d’une tentative avortée de putsch que l’alcool aurait aidée. Revenu en grâce après un exil égyptien, il a été reçu, en avril 2009 à Washington, par la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, en tant que responsable de la sécurité. Mais ses frasques du Nouvel An 2010 où il est filmé festoyant dans un club de l’île de Saint-Barthélemy (Antilles françaises) avec la chanteuse sexy Beyoncé Knowles moyennant 2 millions de dollars, ont suscité l’émotion des Libyens. Cette mésaventure, diffusée par YouTube, alimentera sa hargne contre son frère Saïf Al-Islam, qui se veut plus libéral en matière d’accès à Internet.
Chauffards, footballeur, hommes d’affaires…
Hannibal, 33 ans, a été interpellé à 140 km/h sur les Champs-Elysées en 2004, puis condamné à Paris, en 2005, pour avoir frappé sa compagne enceinte. Il défraie à nouveau la chronique depuis 2008.
Sa brève arrestation en Suisse, pour mauvais traitement infligé à des domestiques, a enclenché une grave crise diplomatique helvético-libyenne. Par mesure de rétorsion, deux hommes d’affaires suisses ont été détenus en Libye pendant plus d’un an.
Saadi, 37 ans, a d’abord mené une carrière de footballeur en Italie qui s’est achevée par une suspension pour dopage, en 2003. Devenu homme d’affaires, il se voit réclamer 392 000 euros par la justice italienne, en juillet 2010, pour une note d’hôtel impayée à l’été 2007.
Mohamed, 41 ans, né du premier mariage du Guide, a développé ses activités non dans la politique mais dans les télécommunications. Il dirige l’opérateur national, la Libyan Postal Telecom & Information Technology Company.
Saïf Al-Arab, 30 ans, est officier. Sa Ferrari F430, trop bruyante, avait été confisquée, en 2008, par la police sur une autoroute allemande.
Khamis, 29 ans, commande une unité des forces spéciales qui porte son nom et est réputée "la mieux entraînée de l’armée libyenne" selon un télégramme américain révélé par WikiLeaks.
Aïcha, 34 ans, est juriste et marraine de la Fondation caritative Waatassimou. Qualifiée de "Claudia Schiffer du désert" par la presse italienne, elle est l’unique fille vivante du Guide.
En 1986, Hannah, sa dernière fille – adoptive -, a été tuée alors qu’elle n’était qu’un bébé, lors d’un raid américain sur la caserne de Bab Al-Azizya à Tripoli, où vivent le colonel et sa famille. Des représailles décidées par Ronald Reagan après un attentat antiaméricain à Berlin.