Islam : La France est-elle devenue paranoïaque ?
Un récent sondage, réalisé par l’institut IPSOS, révèle l’ampleur de l’islamophobie en France. Raphaël Liogier, directeur à Sciences Po Aix-en-Provence de l’Observatoire du religieux, décrypte pour Atlasinfo cette ambiance paranoïaque. Il vient de publier « Le mythe de l’islamisation. Essai sur une obsession collective » (Seuil, 2012).
« L’Islamisation, une mise en scène du déclin de l’Europe »
Cette ambiance paranoïaque, selon Raphaël Liogier, s’explique par une grave crise identitaire : « Ce sondage met pour la première fois en exergue avec des chiffres, ce que j’explique dans mon livre: il existe un lien direct avec une crise identitaire des Européens. Une grande partie du sondage est consacré au fait que la majorité des Français pensent que la mondialisation n’est pas une opportunité mais un risque, qu’il faut avoir peur de l’autre, et que nous sommes dans une période de déclin irréversible. Quand on pense que tout est foutu, on cherche une raison au désastre, il faut un coupable, et c’est le musulman qui va jouer ce rôle».
Cette crise identitaire, accompagnée d’un rejet de l’islam est selon lui un phénomène européen. L’élément déclencheur ne serait pas tant les attentats du 11 septembre 2001, mais l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Pour la première fois, l’Europe a été mise de côté par les Etats-Unis. Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire américain à la Défense, la désigne même de«Vieille Europe »… « C’est un tournant majeur historique. Après avoir perdu son importance économique, sa supériorité militaire, l’Europe ne garde même plus son prestige d’antan… Et on constate qu’à partir de 2003,des associations se créent à travers tout le continent pour lutter contre l’islamisation et défendre les identités européennes. C’est à la même époque que le mot « communautarisme » devient synonyme d’islam. La crainte de l’islamisation devient en quelque sorte une mise en scène du déclin de l’Europe. Or la crise identitaire vécue par l’Europe n’a rien à voir avec l’islam ! ». En 2006, les pays de l’Union se divisent d’ailleurs sur la question de l’introduction d’une référence aux « racines chrétiennes » dans la Constitution européenne …
Islamophobie et ambiance paranoïaque : le danger du populisme
Raphaël Liogier rappelle qu’en 2003, la France se lançait dans un grand débat sur la laïcité, dans le cadre de la Commission Stasi. La loi d’interdiction du voile à l’école suit en 2004. Le sondage effectué par IPSOS démontre que l’islamophobie n’est ni de droite, ni de gauche. Parmi les sondés, si 93% des électeurs du Front National estiment que la religion musulmane est intolérante, 65% des électeurs socialistes partagent la même opinion. « Les hommes politiques ont une grande part de responsabilité pour avoir alimenté l’ambiance paranoïaque dans l’opinion afin d’en tirer des bénéfices électoraux, alors qu’ils savent que les « musulmans » ne sont pas un problème en soi ! » constate avec amertume le sociologue. Jean-François Copé, dans le combat qui l’opposait cet automne à François Fillon pour la présidence de l’UMP, n’a pas hésité à agiter le spectre de l’intégrisme musulman, en racontant la désormais fameuse histoire du pain au chocolat arraché des mains d’un jeune à cause du ramadan …
Le sociologue dresse des parallèles avec l’état de la société allemande lors de la République de Weimar, juste avant l’arrivée au pouvoir de Hitler. « La montée du national-socialisme (qui n’était ni de droite ni de gauche mais populiste) dans les années 30 était fondée sur une crise identitaire très forte de la Nation allemande. Comme lors de la République de Weimar, les hommes politiques se délégitiment aujourd’hui et apparaissent comme corrompus. C’est d’ailleurs une statistique qui figure dans le sondage. Du coup, la population est en attente du leader providentiel et charismatique, porteur de leurs espoirs, autrement dit la population attend d’être sauvé du chaos». 82% des sondés pensent en effet que les politiques agissent principalement pour des intérêts personnels, 62% pensent que la plupart d’entre eux sont corrompus. Et 87% des sondés affirment en effet que la France a besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre.