Immigration: Les nouvelles frontières de Guéant
En proposant de limiter « l’immigration légale », Claude Géant marque un revirement dans la politique « d’immigration choisie » de Nicolas Sarkozy. Et suscite de nouveaux remous, y compris dans son propre camp, révélant les divisions de la majorité sur le sujet.
Une annonce qui ne manque pas de poser quelques questions. D’abord car cette immigration est relativement stable, selon les derniers chiffres de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Les titres de séjour attribués pour motif familial ont certes connu une légère augmentation en 2010 (84.000 personnes concernées), mais ils diminuent sensiblement depuis cinq ans. L’immigration du travail a quant à elle augmenté entre 2005 et 2008, mais, depuis, elle est quasi inchangée (31.532 personnes concernées en 2010).
"Une provocation et une diversion"
Les experts économiques soulignent que les emplois occupés par ces immigrés (souvent peu ou très qualifiés) ne font pas concurrence à ceux des Français. Les démographes montrent que cette immigration est favorable à l’équilibre du système de protection sociale. En durcissant sa politique migratoire, la France risque en outre d’être à nouveau épinglée par les instances internationales pour les embûches administratives déjà rencontrées par les candidats à l’immigration légale. "15.000 regroupements familiaux – c’est très bas. On ne peut pas aller plus bas sans violer des règles fondamentales", a prévenu l’historien Patrick Weil sur Europe1. Le droit à vivre avec sa famille est protégé par la Convention européenne des droits de l’homme, tandis que l’asile politique est décidé en fonction de critères légaux par des organismes administratifs. Les marges de manoeuvres pour réduire cette immigration légale semblent donc faibles.
Pour l’opposition, cette sortie de Claude Guéant sonne donc comme un nouvel appel du pied électoraliste en direction de l’extrême droite. "Dire qu’il faut réduire, et pourquoi pas même supprimer toute immigration légale, (…) c’est évidemment flatter le côté le plus médiocre, c’est un contresens économique, c’est une attaque contre les valeurs humanistes", a estimé sur i-Télé l’ancien Premier ministre Laurent Fabius. Pour Sandrine Mazetier, secrétaire nationale à l’Immigration au PS, il s’agit d’une nouvelle "provocation" et d’une "diversion" pour masquer, selon elle, l’échec du gouvernement en matière de lutte contre le chômage. "En quoi le ministre de l’Intérieur est-il compétent en matière d’emploi ?", a-t-elle aussi demandé.
Lagarde et Copé contre Guéant
Une question que semble aussi s’être posée la ministre de l’Economie Christine Lagarde. "Il faut évidemment réfléchir au court terme mais aussi au long terme. Dans le long terme on aura besoin de main d’œuvre, on aura besoin d’effectifs salariés formés", a affirmé Christine Lagarde jeudi soir sur France 3, contredisant son collègue. "Je ne sais pas quelles sont les raisons qui ont amené (ndlr, Claude Guéant) à dire cette phrase (…) mais en ce qui concerne l’immigration qui est légale, évidemment il faut qu’elle soit protégée et sécurisée", a-t-elle ajouté. Le secrétaire général de l’UMP Jean-François Copé s’est lui aussi dit "favorable à l’immigration choisie" correspondant "à des critères économiques" vendredi sur RTL, se démarquant comme Christine Lagarde du ministre de l’Intérieur.
Confronté à ces critiques, ce dernier a rétorqué vendredi, en marge d’un déplacement à Milan, qu’il présentera "la semaine prochaine ma méthode, mes objectifs et les moyens d’y parvenir" ( à réduire l’immigration légale). En attendant, cette annonce aura une nouvelle fois affiché au grand jour les divisions de la majorité.