"Ces élections proposent de faire renaître le même système, celui d’un serpent à la tête pourrie", s’énerve Hichem, 26 ans, en visant les cinq candidats en lice pour le scrutin du 12 décembre, qui ont tous soutenu à des degrés divers le président déchu Abdelaziz Bouteflika.
Devant les grilles du parc des expositions de Marseille où sont installées depuis samedi les urnes pour la diaspora, le jeune homme distribue, avec une poignée de manifestants, des tracts pour dire "Non aux élections de la honte".
Située en face de l’Algérie, de l’autre côté de la Méditerranée, Marseille compte près de 27.000 Algériens, l’une des plus importantes communautés en France, selon le dernier recensement de l’Institut national des statistiques (Insee). Quelque 1.300 étudiants algériens sont inscrits à l’Université d’Aix-Marseille.
Mais ce jour-là au bureau de vote, ce sont majoritairement des personnes âgées qui s’apprêtent à mettre leur bulletin dans l’urne.
Après avoir obtenu une licence dans son pays, Hichem, fils d’une dentiste et d’un fonctionnaire retraité, a décidé de poursuivre ses études d’ingénieur en France, à Aix-en-Provence, où il vient de décrocher un master en "sécurité et risque industriel".
En Algérie, "il est impossible d’évoluer dans le milieu actuel, il y a trop de corruption alors j’ai préféré partir", explique-t-il.
"Les intellectuels, les gens qui ont fait des études, n’ont aucune reconnaissance, on leur met des bâtons dans les roues", affirme l’étudiant.
"Il faut attendre d’avoir dix ans d’ancienneté pour pouvoir se payer un loyer car malheureusement tout marche par relations dans le travail", déplore-t-il, bien décidé malgré tout à retourner dans son pays natal après avoir acquis quelques années d’expérience en France.
Le jeune homme, qui n’a voté qu’une fois, en 2012 –pour rien selon lui– explique avoir pris conscience notamment grâce à Facebook qu’il fallait se "battre contre ce système qui ne fait pas de place aux jeunes".
– "Place à la méritocratie" –
"En France, mes amis me disent que je perds mon temps à manifester et qu’il n’y pas d’espoir, mais au contraire je crois que le peuple est en train de se réveiller avec ces millions de gens dans les rues en Algérie" depuis le 22 février.
"Ce sera long, mais le changement est possible", veut croire Hichem qui retourne régulièrement dans son pays.
Un espoir que partage Kenza, 25 ans, arrivée il y deux mois à Aix-en-Provence après cinq ans d’études à Alger.
Venir en France n’était pas sa priorité, mais la "corruption" du système d’enseignement l’a notamment incitée à partir.
Elle n’a pas été retenue pour s’inscrire à un doctorat en "logistique internationale". "J’ai vu des étudiants en rattrapage beaucoup moins bien notés qui ont été admis car ils m’ont avoué qu’ils avaient des relations dans l’université", raconte-t-elle dépitée.
"Il faut que ce système corrompu change, qu’il laisse place à la méritocratie", ajoute l’étudiante, fille d’un médecin et d’une mère au foyer.
"C’est compliqué ensuite de travailler avec des supérieurs qui n’ont pas fait d’études et qui ont été choisis pour je ne sais quelles raisons", remarque Kenza.
La coquette jeune femme qui n’a jamais voté refuse de participer à cette "mascarade" de démocratie qui exclut les jeunes, alors que les moins de 30 ans représentent plus de la moitié de la population.
Elle projette, elle aussi, après son expérience en France de rentrer travailler en Algérie pour apporter sa pierre au développement du pays où sa famille est restée.
Kenza et Hichem disent avoir entendu des rumeurs selon lesquelles les Algériens ne votant pas en France pourraient avoir des difficultés à obtenir des papiers des autorités consulaires de leur pays.
"Si ça doit arriver, ça arrivera, on ne pourra pas m’obliger à voter et à accepter des pratiques que je dénonce", insiste Kenza qui a toutefois préféré qu’on change son prénom.